Aujourd’hui, on décide d’écrire ce texte pour raconter ce qui s’est passé, de notre point de vue (et de pas laisser la justice, les médias et les fachos raconter leur seule version). On a envie que les infos circulent, dans ce contexte répressif qui n’est pas nouveau mais qui s’accélère, histoire que tout le monde puisse mieux se préparer. Et aussi pour remercier toutes les personnes qui de près ou de loin nous ont apporté leur soutien et leur solidarité !
L’arrestation et la gardav’
L’alarme a sonné, la BAC est arrivée en 6-7 minutes. Ils nous ont demandé de sortir, on a refusé dans un premier temps, et on a vite changé d’avis. On était à l’étage et on a préféré descendre pour éviter de se les taper dans les escaliers, puis on a tenté de sortir. On s’est rendu.es compte qu’ils nous bloquaient à l’intérieur. Quand ils sont entrés, comme trop souvent, ils ont tasé et tapé certain.es d’entre nous, nous ont aligné.es, insulté.es, humilié.es, puis embarqué.es.
On a été placé.es en GAV pour violation de domicile et dégradations volontaires en réunion. La suite logique, photos et vidéos prises de nous dans le couloir (qui ne sont pas toutes exploitables), demande de décliner nos identités et de prendre nos empreintes (on refuse tout.e.s), fouille et mise en cellules individuelles. On était sept dans une partie des geôles et la huitième personne isolée de l’autre côté. Les auditions tournent court sans réponses aux questions posées.
Là, ce qu’on retient c’est qu’il faut pas hésiter à insister pour voir la médecin dans un bureau (et pas dans le couloir), à lui demander des anxio et antidouleurs et aussi des kits d’hygiène aux keufs.
La prolongation et la prise forcée d’empreintes
Après 24h de garde à vue, on est prolongé.es pour 24h de plus. On est emmené.es chacun.e notre tour pour un nouvel entretien avocat, durant lequel on est prévénu.es que nos empreintes vont être prises de force à moins que l’on décline notre identité.
À ce moment là, une personne a décidé de donner son identité, qui a été vérifiée. Les keufs ont quand même essayé de prendre ses empreintes + photo de force, son avocate s’est interposée et ça n’a pas été pris.
Pour les autres, les keufs viennent nous chercher à la sortie du rendez-vous pour nous emmener à la prise d’empreintes forcée (article 55-1 du code de procédure pénale, un texte de 2023, pour quand les faits reprochés font encourir plus de 3 ans d’emprisonnement)
Ils essaient de nous empêcher de nous prévenir entre nous : on est séparé.es et mains sur la bouche quand on tente de crier. Mais on réussit à se passer l’info, par exemple une avocate sort de la salle d’entretien devant l’un.e de nous pour qu’iel ait le temps de crier l’info avant d’être chopé.e par les keufs. Comme pour un interrogatoire, on peut demander la présence d’un.e avocat.e pour la prise d’empreinte forcée. Iel a 2h pour arriver, sinon ça se fait sans elle/lui.
Les réquis’ du proc’ prévoyaient : prise d’empreintes digitales OU palmaires (paume de main !) OU photos. Les keufs ont essayé de tout prendre. Pour les empreintes, ils mettaient nos doigts et paumes sur une plaque d’encre puis sur une feuille blanche. Plusieurs d’entre nous ont physiquement résisté, ce qui fait que pour certain.es les keufs ont pas pris toute la signalétique, voir rien d’exploitable. Un truc qui a marché c’est de se laisser plus ou moins faire, mais au moment de poser le doigts sur la feuille blanche, le faire légèrement glisser. Une personne qui avait capté ce qu’il se passait a eu le temps de frotter ses doigts sur le sol de sa cellule (jusqu’à faire des cloques). Pour les photos, plusieurs personnes ont fait des grimaces. Les keufs en ont aussi profité pour faire des photos de certains tatouages qui étaient visibles. Dans tous les cas, leur machine fonctionnait pas ce jour-là, impossible pour eux de comparer les empreintes prises dans leur base de données...
On va pas se mentir, c’était plutôt impressionnant, par exemple une d’entre nous a été menacée de se faire tabasser si elle continuait de refuser et une autre a été plaquée au sol par au moins 6 keufs. Au final, personne n’a été frappé.
Déferrement au parquet et JLD
Pour info c’était toujours X1 qui passait en premier pour tous les entretiens et cie, qui donnait le ton pour les autres. C’est d’ailleurs elle qui nous annonce le déferrement.
Un peu avant la fin des 48h on a été déférré.es. Transport dans les paniers à salade et arrivée au tribunal (bonheur de voir les ami.es dehors et d’échanger quelques cris solidaires !). Les geôles, c’est encore un autre mode que les cellules de GAV, plus sale, parfois pas de chiottes, pas de robinet, pas (ou peu) de bouffe. Les personnes assignées du même genre sont ensemble (dans 2 cellules). Enquête sociale dans les geôles, on refuse. On voit les avocat.es. Puis la procureure à qui on donne nos identités mais qui demande quand même notre placement en détention provisoire en attendant la comparution immédiate 2 jours plus tard. Puis on voit la JLD (Juge des libertés et de la détention). Ils avaient déjà décidé qu’on partait à Seysses (les camions étaient prêts), mais la JLD pose quand même des questions sur nos situations personnelles et nos garanties de représentations qui ont été amenées par les avocat.es. Elle dit notamment qu’elle nous met en détention pour éviter qu’on se concerte avant la compa et qu’on récidive. La personne qui avait donné son identité au moment de la prise d’empreintes est sortie avec un contrôle judiciaire (interdiction d’entrer en contact avec les 7 autres ... enfermé.es à Seysses lol).
Seysses
Et c’est reparti pour le panier à salade.
Re-passage devant les gens dehors, ça donne le smile ! Merci d’avoir bien voulu rater top chef pour qu’on puisse voir vos tronches et d’avoir accueilli la pote sortie en CJ !!
Et c’est un des rares moments où on peut se parler avec la pote qu’est seule le reste du temps.
Arrivée à Seysses, un autre délire. On sait pas à quoi s’en tenir, faut bien dire que ça déstabilise et que ça change les manières de résister à certains trucs, de comment on se sent de répondre ou pas à la panoplie de questions qu’on nous pose. Le gars qui fait les admissions a beau être solo derrière sa ptite vitre, t’as pas envie de le chatouiller. C’est lui qui ouvre le bal : on te fait un dossier pour l’AP (administration pénitentiaire). Mais pas de panique hein, ça reste en interne qu’ils nous disent ! Prise d’empreinte de l’index gauche (idem, à l’encre, ça ripe sur le papier...), photo biométrique du gabarit de la main droite, taille, photo de notre gueule (on apprendra plus tard que c’était pour notre carte de détenu.e !), on te pose des questions sur ta situation perso, ton niveau d’études, on fait ton "profil".
Puis c’est la fouille. On te demande de te mettre à poil et de lever les pieds pour voir dessous ou encore de t’accroupir, lever les jambes, tousser. Si t’as tes règles, on te fait changer de serviette hygiénique.
On récupère quelques trucs de notre fouille, qui nous suit depuis la GAV dans toutes nos étapes. Notamment montres, lacets et les lunettes, au bon vouloir des maton.es.
Si pour des raisons médicales on a besoin de trucs en particuliers, faut l’ordonnance.
Direction les cellules. On est 6 personnes à partir côté MAF (maison d’arrêts pour femmes) et une côté MAH (maison d’arrêt pour hommes).
À la MAF, pas de quartier arrivant.es, on est avec tout le monde. La personne côté MAH sera seule en cellule, celles côté MAF 3 par 3 (avec un matelas au sol, les cellules sont prévues pour 2). Comme on arrive, on sera tchéké.es plusieurs fois dans la nuit, les maton.nes allument la lumière et regardent par l’oeillton.
On va pas nier qu’après 3jours en GAV ou dans les geôles du trib, les cellules de seysses semblent "grand luxe". Douche, frigo (à la MAF), télé (quand on trouve la prise ;p), une fenêtre qu’on peut ouvrir (avec 8 couches de grillages et barbelés pour voir le mur d’enceinte), des fringues propres (on te fournit un complet jogging !), de la bouffe. On a même eu le droit à un superbe feux d’artifice et des échanges de cris des 2 côtés du mur ! La personne seule au quartier arrivant de la MAH entend les personnes de la MAF crier et ça fait chaud au cœur de se sentir pas si loin.
Bon côté MAF, on apprendra plus tard que nos cris ont fait paniquer les autres prévenu.es/détenu.es qui ont crues à un contrôle des cellules. Côté MAH, y aura pas de conséquences aux cris de la nuit.
On se rendra vite compte aussi que rien ne nous est expliqué sur le fonctionnement, pourtant très cadré, de la prison. Qu’on nous infantilise et qu’on se fout bien de notre gueule quand on pose des questions.
Des questions on nous en posera, à nous, le lendemain matin. On passe devant tout un tas de gens qui se répètent : le chef des matonnes ou d’établissement, la médecin, l’infirmière psy (voir le psy), le SPIP (assistante sociale). Globalement tout le monde pose les mêmes questions : on te redemande ton blaze, on te pose des questions sur ta vie, ton niveau d’étude, ta santé, ta famille et surtout on te demande ce que t’as à dire sur les faits qui te sont reprochés ! Rien n’oblige de répondre.
Aux médecins on peut demander des nicorettes, patch, anxio, somnifères, crème grasse etc.
On aura aussi droit aux promenades, une heure le matin, une heure l’aprem, avec les autres prévenues. Faut être ponctuelle si tu veux pas la rater, on te prévient au micro de quand elle sera. "Prévenus, 1er tour !".
La comparution immédiate
Vendredi midi, direction le trib, on repart dans un bus de l’AP, version cage à poules. On est les 7, on peut se parler. On reconnaît des têtes en arrivant devant le trib, ça fait toujours autant plaisir !
La compa est à 13h45, sachant qu’on a quitté la taule vers 12h30/13h, autant dire que ça nous laisse très peu de temps pour nous préparer avec nos avocat.es. On tente de demander un rdv collectif mais sans succès.
Pour nous il est communément admis qu’on n’accepte pas une comparution immédiate, notamment car c’est plus probable d’y être condamné.es. Pour tout un tas de raisons différentes, et après avoir pesé le pour et le contre, on a pris le risque de l’accepter malgré le fait de ne pas pouvoir parler les huit ensemble, le peu de temps pour se préparer, le peu de temps avec les avocat.es (dont des commis d’offices).
On a aussi choisi d’avoir une défense commune, de ne rien dire, si ce n’est de donner notre identité et de ne pas reconnaître les faits qui nous étaient reprochés. On a quand même reconnu notre refus de signalétique, en disant qu’on ne veut pas participer au fichage généralisé auquel elle sert.
On s’est retrouvé.es les 7 dans le box pour les prévenu.es, et la pote en CJ seule à la barre. La salle est pleine de potes (d’autres encore n’ont pas pu rentrer) et ça nous donne plein de force pour ce moment !
Après un plaidoyer de la part de nos avocat.es contre la prise d’empreintes et de photos forcée pour demander à ce qu’elles ne soit pas exploitable (échec), le procès commence.
Tour de présentation de tout le monde en commençant par la personne qui comparaissait libre (identité et situation perso) et ça passe la parole à la proc. Et comme la justice est "bien faite", une fois qu’on a accepté la compa, la proc’ a demandé la requalification de l’infraction de violation de domicile (elle-même a admis que ça ne tenait pas la route) en introduction dans un local à usage d’habitation, la fameuse loi kasbarian. Requalification acceptée.
Blabla de la proc’, questions de la juge, elles profitent bien évidemment que la pote en CJ soit seule de son côté pour tenter de la cuisiner.
On reste sur ce qu’on a dit, on ne répond pas aux questions, on ne fait pas une défense sur notre "profil". Évidemment les avocat.es en disent plus que prévu, en argumentant par exemple que les images de vidéo-surveillance auraient pu être exploitées et que nous étions non-violent.es et bien inserré.es.
On refuse aussi les TIG, qui ne peuvent être donnés que si on les accepte, en argumentant qu’on fait déjà bien assez de taff gratuit !
Et on demande pour l’une d’entre nous (pour une question de taff) que si condamnation il y a, ça ne soit pas inscrit au B2, au casier judiciaire. Demande acceptée.
Retour aux geôles en attendant le délibéré qui se fait dans la foulée, et on remonte.
On sera condamné.es tous.tes les 8 à 1000€ d’amende avec sursis pour refus de signalétique et introduction dans un local à usage d’habitation. On est relaxé.es pour les dégradations. On doit payer 254€ chacun.e de frais de justice, mais tkt t’as 20% de remise si tu les payes dans le mois ! Business is business...
Plus tard, on choisira de ne pas faire appel.
Retour à Seysses pour récup nos affaires. On peut partir avec tout, même le PQ !
C’est aussi le moment de récupérer nos fouilles. Elles sont mélangées et il manque pas mal de trucs, notamment frontales, cache-cou, boucles d’oreilles...
Les potes nous attendent plus loin sur un parking, bonheur !! Pour eux, contrôle d’identité et relevé des plaques d’immat ! La première personne relâchée aura elle aussi droit à un contrôle des gendarmes direct à la porte de la taule, comme accueil dans le monde "libre".
Ptit bonus, le lendemain on a la bonne surprise de découvrir plusieurs articles dans des médias genre "valeurs actuelles" et le JDD (repris par d’autres sites de la fachosphère) mais aussi france3 et d’autres. Il y avait un journaliste à l’audience, Nicolas Boutin, qui a filmé et publié la fin de l’audience.
Pour conclure
On trouvait important de partager cette histoire car ça raconte des choses sur le contexte répressif à Toulouse aujourd’hui, et qu’on pense intéressant de se nourrir des expériences pour réfléchir à nos pratiques et continuer les luttes. Cette fois, on a l’impression qu’ils avaient envie de faire de nous un exemple et peut être démotiver les prochain.es de rester sous X, car cette habitude prise ces dernières années à Toulouse les emmerde. Ça veut pas dire que ça se passera comme ça à chaque fois !
De notre côté, même si on a eu besoin d’un peu de repos après ces aventures, on garde la pêche, et c’est aussi grâce aux potes qui se sont mobilisé.es toute la semaine pour faire le lien avec les avocat.es et les proches, gérer la paperasse et s’embrouiller avec l’imprimeur, passer leur vie devant le trib, et même nous envoyer un colis à Seysses ! Merciiii ! <3
On sait que c’est une chance qui n’est pas donnée à tout le monde !
Dans notre milieu (plutôt blanc et bourgeois) c’est un peu une dinguerie tout ça par rapport à ce qu’on a eu l’habitude de voir pour ce genre de situations à Toulouse. Mais notre histoire n’a rien d’exceptionnel, pour tout un tas de gens, notamment des personnes non blanches ou pauvres, c’est le lot quotidien. Elle est une goutte d’eau dans un océan de merde. La répression s’intensifie pour tout.es celles et ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas rentrer dans leurs cases. Des milliers de personnes subissent quotidiennement la violence et le racisme des keufs, de la justice et se retrouvent derrière les barreaux. Et ça a pas l’air parti pour s’arranger !
Tant qu’il y aura des maisons vides il y aura des gens pour les occuper, squat partout, crève la propriété privée !!!!!
Crève la taule et le monde qui en a besoin !
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