Le troisième anniversaire du suicide de Tal Pieterbraut-Merx était un rappel douloureux de son absence. Il est une épine toujours plantée dans nos cœurs, une épine qu’on vient remuer, encore. Mais le souvenir de Tal est aussi une présence continue et joyeuse dans nos engagements antiracistes. Avec les autres camarades, nous avons parlé souvent de Tal depuis le 7 octobre : comment aurait-il pensé ce qui arrive là-bas et ici, quels mots précis et percutant aurait-il déniché, comment aurait-il vécu les déchirures qui se sont formé à l’intérieur des milieux queer ? Ce dont je suis certain, c’est que Tal aurait été d’un secours immense pour adresser les problèmes à ses camarades. Les cailloux sur sa tombe, toujours plus nombreux d’une visite à l’autre en témoignent. J’ai pleuré, encore, en ouvrant le Petit manuel de lutte contre l’antisémitisme de Pardo et Delor. Il commence avec ces mots « à Tal Pieterbraut-Merx ». Je crois qu’il aurait été avec eux le 12 novembre pour se taper avec le RN qui leur criaient des insultes antisémites, dans une manifestation contre l’antisémitisme.
Je me suis demandé ce que Tal aurait répondu après qu’un type de Tsedek ait raconté sur Paroles d’Honneur que ses camarades de JJR contrôlaient Mediapart, la CGT et Solidaires. Je me demande comment Tal aurait réagi après la manifestation à Marseille où une militante de Tsedek lit le kaddish pour les Palestiniens et réalise que le texte sacré et millénaire contient le mot « Israël ». C’est-à-dire qu’elle le découvrait, en le lisant devant tout le monde et l’étonnement manifeste de son visage, passé, décide de sauter le mot qui désigne le peuple de Jacob-Israël. Je crois que Tal aurait rit de la bêtise de Tsedek qui publie la vidéo, sans même réaliser à quel point ils sont eux-même dans l’instrumentalisation de leur propre identité, qu’ils ne connaissent pas. Et puis il y a eu cette militante du NPA qui racontait une blague juive dans un « meeting juif international » – et personne ne rit, parce que personne ne la comprend – et nous souffrons avec elle un instant, lorsqu’elle doit s’humilier en expliquant la blague devant tout le monde, juste avant de nous rappeler qu’elle a choisi de participer à la meute antijuive. Dans le même meeting, on apprend que « les sionistes de gauche comme le RAAR, JJR et Golem seraient les plus grand danger de la gauche ». J’ai alors vu la tête de Tal et entendu raisonner son rire contagieux qui aurait probablement explosé après que Maxime Benatouil ait raconté que Golem était « les héritiers de l’OAS ». Ou encore lorsqu’il aurait appris que Tsedek diffusait l’idée que Golem avait marché – non pas contre – mais avec l’extrême droite le 12 novembre. Tal riait devant ceux qui n’ont pour armes intellectuelles que le mensonge et la bêtise, comme pratique politique la diffusion de rumeurs.
Quand j’ai lu que Blast rendait hommage à ces mêmes Tsedek en faisant la promotion du livre de Tal, j’ai beaucoup moins ri. Les engagements de Tal auprès de JJR sont publiques. Les textes de critique de l’UJFP, dont plusieurs ont été rédigés par Tal, sont toujours sur sa page facebook. Ici, il critiquait la dérive négationniste de l’UJFP qui revendiquait « le droit d’inventaire » sur « sa propre histoire familiale », ici il critiquait « le non-sujet de l’antisémitisme à gauche », là il critiquait le déni de l’antisémitisme chez Dominique Vidal dans Racismes de France. Tal étant décédé avant que les rejetons dégénérés de l’UJFP créent Tsedek, je ne peux pas affirmer avec certitude qu’ils les auraient vomis. Mais ce qui est certain, c’est qu’il vomissait déjà leurs géniteurs décérébrés en février 2019 lorsqu’ils s’affichaient avec des quenellistes et des types qui criaient « rentrez chez vous à Tel Aviv » et signait un communiqué contre « les sionistes » pour calomnier des Juifs qui venaient parler d’antisémitisme. Il vomissait également l’UJFP qui venaient distribuer des tracts pour perturber la commémoration des 15 ans d’Ilan Halimi que Tal avait participé à organiser. Tal détestait le langage sectaire et poussait à la dialectique. En particulier sur Israël et le sionisme. Tal invitait à habiter un récit complexe, a rebours de l’époque qui aime les slogans et les tweets en 260 signes.
Quelle est la raison qui pousse ses éditrices à rapprocher Tal de Tsedek ? Elles savent que Tal était actif aux Juives et Juifs Révolutionnaires. Ils en parlaient ensemble. Même sa fiche wikipedia le rappelle. Ou bien elles ne connaissaient pas les engagements de Tal contre l’antisémitisme et utilisent sa mémoire pour exprimer leurs propres vues, ou bien elles connaissaient ses engagements et il s’agit là d’un acte de haine. Dans le premier cas, les éditrices de Blast ont eu besoin de rassurer leur lectorat : ne vous inquiétez pas, nous publions un Juif mais il n’était pas « sioniste ». Elles ont peut-être eu peur d’être accusées de « sionisme » elles-même. J’utilise ici le mot « sionisme » avec des guillemets, car il ne s’agit pas du sionisme réel, le projet politique initié à la fin du XIXe, qui s’est réalisé en 1948 et auprès duquel on peut formuler de nombreuses critiques parfaitement légitime. Le « sionisme » quant à lui semble être une maladie contagieuse transmissible à gauche. Si vous rappelez ce qu’est l’accusation de peuple déicide ou de crime rituel alors vous êtes un « sioniste ». Si vous rappelez que l’antisémitisme ne connaît pas de frontières politiques, alors vous êtes un « sioniste ». Si vous faites remarquer qu’il y a un problème lorsque des types à gauche remettent en question le caractère antisémite d’un tag « JUDEN » sur la vitrine d’un restaurant casher, alors vous êtes un « sioniste ». Si vous contestez les analyses de Tsedek qui attribuent l’antisémitisme aux Juifs eux-même, vous êtes un « sioniste ». Si vous êtes en colère après qu’un abruti de la radio fasse des blagues sur les bites des juifs, alors vous êtes un « sioniste soutien de Netanyahu ». Si vous rappelez que dénoncer un prétendu entrisme juif au sein de l’État rejoint les théories complotistes classiques de l’extrême droite alors vous êtes un « soutien du génocide ».
Ce qui blesse c’est que les deux éditrices étaient présentes à son enterrement. Elles ont vu les rabbins qui étaient là, les références au judaïsme et à la lutte contre l’antisémitisme. Mais le caractère sacré de la dépouille semble ne pas compter. Il semble qu’il est autorisé de jouer avec le cadavre des Juifs, de s’en servir comme d’une marionnette ventriloque à qui l’on fait dire ce qui nous arrange et qui nous plaît. De la même manière, nombreux se servent de la mémoire des révolutionnaires syndicalistes juifs du Bund pour séparer les bons juifs des mauvais. Ils oublient simplement de dire que les juifs antisionistes du Bund sont presque tous morts et que les survivants ont émigré aux USA ou en Israël. Ils oublient d’expliquer que le congrès d’auto-dissolution du Bund après la Shoah annonce le ralliement du bundisme au sionisme. Cela ne signifie aucunement que le Bund s’est trompé, et qu’il n’y aurait pas de critique du sionisme à faire, mais cela veut dire que les hommages du Bund dans la mythologie des gauches est seulement instrumentale. Encore une fois, il y a le refus d’habiter un récit complexe. Si ceux-là se servent de la mémoire des morts juifs pour mener leurs petits business idéologiques, les fantômes reviendront les hanter. Il est dangereux de jouer avec les cadavres.
Youss Ben
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