Les luttes dans la santé ont toujours existé. Pourtant il n’est pas simple d’imaginer une pratique autonome dans les luttes pour l’accès aux soins. Entre d’un côté un corporatisme soignant souvent réactionnaire et d’un autre un impensé de la part des collectifs politiques militants, l’accès aux soins se dégrade et les hôpitaux sont vendus aux plus offrants.
Le capitalisme a besoin d’un champ infini de spéculation pour sa survie. Celle-ci se tourne vers le champ de la reproduction sociale comme l’éducation et la santé. Dans la santé, l’ingénierie technologique, l’extraction des données personnelles et statistiques sont les nouvelles mines spéculatives. Et le cynisme morbide du capitalisme n’est pas nouveau. Cette défaite sur les terrains de la reproduction était annoncée par le peu d’écho qu’ont eu les mouvements féministes matérialistes il y a quelques années alors qu’ils ciblaient la nécessité de ne pas les laisser hors de la perspective révolutionnaire et des luttes contre le secteur de la production. Nous devons tout de même reprendre cette question pour anticiper une situation qui réduira considérablement notre marge de résistance dans les luttes à venir.
D’un côté, amplifier notre connaissance des espaces de soin autour de nous et affiner les liens avec les travailleurs de ces secteurs, et dans le même temps s’attaquer aux acteurs de la privatisation de la santé sont les deux axes de notre proposition.
Pour envisager la perspective d’une révolution sociale ou même seulement celle de maintenir une lame de fond de résistance, nous devrons nous confronter à notre dépendance au système de santé et organiser notre refus de ce qui s’y exerce comme abus et contrôle sur les corps des plus démunis. Nous avons recueilli des récits de luttes dans la santé pour nourrir notre réflexion à ce sujet. On parle d’occupations d’hôpital, d’actions directes, de grèves et de leur invisibilisation, d’expériences d’autonomie pratique et de lieux de soin alternatifs, d’assemblées et de manifestes qui ont marqué la longue résistance contre la sous-traitance, la discrimination du corps médical ou contre les start-ups.
On a éprouvé nos contradictions lors de l’épidémie de covid, autant que pendant ou après des manifs lorsqu’on est obligées de faire face aux conséquences de la confrontation avec les armes de la police. En manif nous sommes nombreux et nombreuses à vouloir marquer une rupture avec ce système dans la rue mais nous ne savons à qui nous adresser dès que nos blessures nous rappellent à notre fragilité. Et cet impensé, que l’on vit au quotidien, nous ramène sans cesse à notre dépendance à l’état. Les blessures ou les fragilités qui nous renvoient à notre intimité sont ce que nous avons de plus commun et c’est pourtant là où l’on se replie le plus facilement dans l’individualisme. Comment y retrouver une mise en commun et la possibilité d’un levier révolutionnaire ?
En Grèce en 2010 beaucoup ont pensé se trouver à deux pas d’une révolution sociale. La résistance du peuple grec a trouvé ses limites en partie du fait de la répression policière, mais principalement face aux violentes mesures d’austerité, qui ont amené entre autres à la destruction du système de santé.
Si le gouvernement français n’applique pas aussi brutalement la mise en faillite du système de soin public, du fait de résistances sociales comme de choix stratégiques, c’est bien la même perspective qui se joue aujourd’hui. Nous voyons les lieux de soin comme des miroirs de l’aggravation des conséquences des politiques néolibérales à même les corps. La santé, c’est ce qui nous lie intimement à l’état et au système techno-industriel. Qui est vraiment prêt à renoncer, quand il s’agit de la santé, à une technologie de pointe pourtant issue de l’exploitation de l’humain et de la dévastation des terres, de ces savoirs accumulés depuis les enseignements des guerres et de leur convoi d’enfermements ?
C’est aujourd’hui le numérique qui transforme l’enseignement et la pratique médicale par son déploiement d’ingénierie de pointe. Et il y a fort à parier que le coût de cette médecine de pointe exclue de toute façon de plus en plus de monde.
Renoncer au confort des promesses de cette médecine ne sera donc probablement pas un choix, par contre comment y répondre le sera. Car il n’y a pas plus de médecine de proximité qui se développe pour palier nos besoins les plus basiques, mais la mise en avant d’une médecine prédictive destinée à qui pourra se la payer, promettant jusqu’à la régénérescence cellulaire. On parle de clones numériques afin de travailler sur des diagnostics prédictifs où l’hôpital disparaît pour devenir un laboratoire fait de machines et d’interfaces. La télémedecine qui vient ne sera pas réappropriable. Et nous aurons à retrouver ce que nous nommons santé, pratiques et nécessités, à commencer par le soin quotidien de nos proches et de nos quartiers.
L’engagement dans une lutte pour la démarchandisation du système de santé pose aussitôt un bon paquet de questions. Surtout parce qu’il ne s’agit pas de revendiquer un simple retour au système keynesien d’après-guerre. C’est-à-dire que nous ne pensons ni possible ni souhaitable de s’en remettre à l’état en matière de protection sociale ; aujourd’hui devant ses intérêts néolibéraux manifestes, et de tout temps devant ses intérêts de gestion des populations.
Il ne s’agit pas de devenir tous et toutes des spécialistes dans le secteur de la santé. Mais comment penser ce qu’on y délègue ? Inverser ce rapport de dépendance peut être le point de départ d’une révolution sociale, où ce que nous nommons public serait enfin détaché de l’état et de l’économie, qui se refait une santé sur le marché de nos dépendances et nos besoins les plus vitaux. Le refus de ce que nous vivons actuellement vient appeler à des formes d’attaque et de résistance autant qu’à une réflexion éthique. Et quelque soit le statut que l’on se donne, on part forcément de là où nous sommes.
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