« Ce serait trop facile de dire qu’il y a de simples casseurs qui s’incrustent et sèment le trouble »

Ce samedi 1er décembre a eu lieu l’acte III des Gilets Jaunes. Depuis deux semaines, de nombreux blocages ont lieu autour de Toulouse. Cette fois-ci, la révolte s’est étendue dans le centre-ville et des affrontements ont éclaté durant toute l’après-midi et une partie de la soirée. On n’avait pas vu ça depuis des années. Retour subjectif et collectif sur cette journée hors du commun.

  • Blessé grave confirmé

    D’après un article de Francesoir citant la mère du blessé, une personne est bien dans le coma suite à un tir de flashball à la tête.

Par curiosité, avec une certaine retenue et un brin de scepticisme, on est quelques-un·e·s à être allé voir ce que donnait ce troisième samedi de mobilisation des Gilets Jaunes à Toulouse. La journée a été longue, pleine de rebondissements et il serait très compliqué de faire un récit chronologique précis des événements. On ne peut que rapporter certaines choses que l’on a vu. Le déroulé de la journée était globalement enthousiasmant, mais difficile de se retrouver dans tout ce qui s’est passé : on a entendu par exemple des insultes sexistes, homophobes et putophobes, la Marseillaise chanté à de nombreuses reprises et on a vu des drapeaux français brandis.
Il serait éxagéré de résumer cette journée à ces comportements problématiques, tout comme il serait malheureux de les minimiser : il s’agit de trouver la mince ligne de crête entre les deux. Il y avait du monde dans les rues de Toulouse ce samedi. Pas que des camarades, c’est sûr, mais pas non plus que des ennemi·e·s. Par exemple, il semble que l’Action Française ait été plutôt présente sur les péages à l’extérieur de la ville. En bref, on s’est plutôt laissé emporté par l’euphorie collective de cette journée des barricades en étant conscient·e·s de l’importance de rester alerte.

Acte 3.1 · Un début en douceur

Le matin, on voit sur Internet une photo du cortège déjà en place avec une banderole « Non au mondialisme libéral libertaire ». Outch. Ça nous met pas dans la meilleure des ambiances. Dans le cortège, un tract bien dégueulasse est distribué et une prise de parole anti-migrant est hué puis recouverte par une Marseillaise. C’est le début de la journée et, déjà, c’est à n’y plus rien comprendre.

Vers midi, du côté de la gare, une petite centaine de personnes hésite entre aller au commissariat où quelqu’un·e serait en garde a vue suite à une arrestation matinale liée à de l’activité sur internet (info non confirmée) ou aller directement vers la Prairie des filtres, où sont supposés se retrouver la majeure partie des gilets jaunes toulousains à 12h30. Au final c’est cette deuxièmes option qui est choisie. Un cortège se forme, prend la rue Bayard, la rue Alsace-Lorraine, Esquirol jusqu’au pont Neuf.

Aux alentours de 13h, les gens se regroupent au bout du pont neuf et une manif’ dans le centre-ville commence (qui emprunte les rues de Metz, puis Alsace-Lorraine) où la présence policière se fait rare. On remarque quelques drapeaux français, mais aussi une présence de la gauche habituée aux mouvements sociaux (NPA, France insoumise, DAL, etc.). À côté de ça, beaucoup de « gilets jaunes » semblent moins l’être. Beaucoup sont venu·e·s assez bien équipé·e·s (avec des masques a gaz, des lunettes et casques de moto). Parmi des petits groupes naviguant a quelques pas des flics, on entend a plusieurs reprises « Les plus téméraires devant ! » Du monde a l’air de pressentir ce qui va se passer. La Marseillaise est entonnée ainsi que des chants de supporters (« Aux armes, aux armes ! » ou « Toulousains ! Toulousains ! »), mais on entend aussi un premier « Ah ! ah ! Anti-capitaliste ! », repris par une bonne partie du cortège. Mais sur toute la journée, le slogan qui aura été (de très loin) le plus repris est, incontestablement, « Macron démission ! »

Rue Alsace Lorraine, premier accrochage : les voltigeurs sont en train de contrôler deux personnes avec des gilets jaunes parcequ’ils étaient trop équipés à leur goût. Les gens s’arrêtent pour essayer de mettre fin au contrôle. La scène dure une dizaine de minutes. Un certain manque d’à propos permet au voltigeur de récupérer indemne leur moto oubliée dans la foule. Les flics se font invectiver, mais ça reste assez calme à ce moment-là. On fini par repartir, passant par le Capitole, Wilson et Jean-Jaurès. Puis on prend les traditionnels boulevards, dans la direction d’Arnaud Bernard, point de départ de la manifestation syndicale.

Acte 3.2 · Jeanne d’Arc, la gare et le Capitole

Au niveau de la rue Bayard, ça hésite : certain·e·s veulent rejoindre la manif syndicale, mais ce n’est pas du goût de tout le monde, alors une partie du cortège bifurque en direction de la gare dans l’objectif de la bloquer. Au milieu de la rue, les flics commencent à lancer des lacrymos sur le cortège qui reflue en partie. Il doit être autour de 14 heures. C’est à partir de ce moment que les affrontements commencent. Ils dureront toute l’après-midi et une partie de la soirée. Pour beaucoup, c’est l’impression de s’être fait gazer gratuitement : ça crée pas mal d’énervement dans la foule.

À partir de ce moment, ça devient très difficile de faire un récit des événements. Très vite, les schmitts sont complètement dépassés. Les gens stagnent autour de Jeanne d’Arc avec des aller-retour réguliers : il y a des avancés vers les flics et des reculs quand y’a des gaz, quelques tentatives de percées couvert par les parasols des terrasses avoisinantes accompagné de « Tous emsemble ! Tous emsemble ! ». Ça a parfois marché et fait reculer les keufs.

Les banques sont prises pour cible, un extincteur de peinture (jaune forcément) pète dans la Banque Pop qui plus tôt servait de poste de premiers soins. Plusieurs distributeurs sont repeints ou détruits, les horodateurs sabotés, les barrières du parking souterrain sont brisées. À cette heure-ci, la casse n’est pourtant pas la préoccupation principale des émeutièr·e·s, qui préfèrent caillaisser les keufs. A l’angle de la rue Bayard et de la rue des Moutons, un petit groupe harcèle les flics qui tiennent le bas de Jeanne d’Arc. Les répliques se font à coup de flashball, une personne est évacuée après avoir reçu un tir dans le poignet. Plusieurs personnes sont blessé·e·s par les flashballs ou les grenades désencerclantes [1].

Peu après 16h, des groupes finissent par lancer un mouvement pour prendre la gare en passant par la rue Bayard. A ce moment-là semble-t-il, les flics décident de lâcher les rues Matabiau et Raymond IV afin de protéger la gare. Plusieurs tirs de lacrymos et de flash-ball, une personne tombe à terre [2].

Pendant ce temps, quelques centaines de personnes restent autour de Jeanne d’Arc, certain·e·s se demandent où est passé la foule, désormais éparpillée dans les différentes rues. Sur Raymond IV, les émeutièr·e·s sont déchaîné·e·s. C’est l’effervescence, tout le monde ne porte pas le gilet jaune, mais chacun·e y va de son petit geste pour constituer des barricades, une personne monte sur un horodateur pour en briser le panneau solaire. Devant le tribunal administratif, une personne lance « Mais c’est l’État ça ! Faut casser ! ». Les vitres sont impactées avant que la foule ne rebrousse chemin, les flics viennent de gazer.

Vers 16h30 un cortège se dirige vers le Capitole. La porte de la mairie est un peu secouée avant qu’une dizaine de flic ne fasse barrage. Coincés sur quelques mètres entre le marché de noël et la mairie barricadée, la plupart des manifestant·e·s rebroussent vite chemin et retournent à Jeanne d’Arc, où les trois barricades qui bloquent les rues Raymond IV, Matabiau et Saint-Lazare prennent de l’ampleur. Les chantiers autour se font dépouiller, les barricades sont enflammées. On retourne à la situation statique qui avait lieu les heures précédentes.

A la nuit tombée, il y a encore des centaines de personnes à Jeanne d’Arc et derrière les barricades les pavés volent toujours. La statue enfile un gilet jaune et prend sa pancarte : « Manu, ton cadeau de Noël sera une révolution ». Du côté des barricades, on entend à partir de cette heure de la journée plus de « tout le monde deteste la police ! » ainsi que des « Toulousains ! Toulousains ! ».

Dans les rues alentours le business de Noël continue, les rues sont pleines. Globalement l’ambiance de Jeanne d’Arc aura peu impacté les commerces du centre, à l’exeption des commerces très proches qui avaient fermé leurs grilles comme Primark où les client·e·s se sont retrouvé·e·s enfermé·e·s pendant un long moment.

Acte 3.3 · La nuit tombe

Ce n’est qu’aux environs de 18h que les flics parviennent à chasser les manifestant·e·s de Jeanne d’Arc, à grand renfort de lacrymogènes et en faisant des allers-retours sur le boulevard avec leurs camions. Mais dans les instants qui suivent des barricades enflammées sont dressées un peu partout dans le quartier et en d’autres endroits du centre-ville à Jean-Jaurès, Victor Hugo, sur les boulevards jusqu’à Esquirol. Deux voitures sont incendiées rue de la Concorde. Certain·e·s brisent des vitrines des magasins d’Alsace Lorraine. Les Galeries Lafayette y passent aussi. Sur les boulevards, il y a, environ tous les cinquante mètres, des containers qui brûlent entre Jeanne d’Arc et François Verdier.

Les émeutiè·r·e.s se font plus mobiles ou disparaissent, attaquant ça et là les flics qui gazent dès qu’ils peuvent. On aperçoit moins de jaune fluo chez les émeutièr·e·s, ils sont plus jeunes aussi, le mot a tourné « on m’a dit que ça caillassait en centre-ville ». Les affrontements se cristallisent autour de la place Wilson avec plusieurs charges de baqueux à grand coups de flashball. C’est a priori à ce moment là qu’ont lieu les interpellations.

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À Jean Jaurès le metro est bloqué par les keufs. Les gens sont coincés à l’interieur et se font gazer. Celles et ceux qui en sortent sont trop vénèr·e·s ! Dans les allées pleines de barricades, les barrières du chantier se font casser. Tout le monde gueule sur les flics , qui ont fait plein de blessés, et les gens sont hyper remontés . ça monte des barricades (passant·e·s, gilets jaunes, tout le monde est enragé.es ) les gens cherchent les flics pour les prendre à revers, les flics se font insulter de connards à tout va.

Entre temps, l’inauguration du marché de Noël place du Capitole est annulée. Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse, déclare ce dimanche « Ce serait trop facile de dire qu’il y a de simples casseurs qui s’incrustent et sèment le trouble ». Difficile de lui donner tort. Dans la soirée, Tisséo décide de fermer toutes les lignes de métro et une bonne partie du tram.

A Toulouse, la police était clairement en sous-effectif, sans aucun renfort de CRS ou de gendarmes mobiles [3]. Leur obstination à défendre la gare laissait le centre-ville ouvert. Par ailleurs et c’est assez rare pour que ce soit noté, les émeutièr·e·s semblaient venir de milieux très différents, être d’âge très variés.

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Vers l’acte 4 · Que faire ?

Globalement, l’ambiance de la journée du samedi était très étrange. Il y a des moments où c’est facile de se laisser emporter par une sorte d’euphorie, mais à tout instant peut se laisser entendre un « Macron gros pédé » ou une Marseillaise, qui rappelle que c’est pas si simple.

On ne peut néanmoins pas nier qu’il se passe quelque chose. difficile de savoir quoi exactement, mais difficile de passer à coté, de faire comme si de rien n’était et continuer sa vie. Ce mouvement parait insaissisable, difficile à étiquetter, sa composition est certes hétérogène mais animée par un même constat celui d’en finir avec une situation intenable et de ne rien lâcher. Ce mouvement que tant disent apolitique échappent à la main mise des partis, des syndicats, des opportunistes qui voudraient en être le porte parole, le dialogue n’aura pas lieu en huis clos comme il est de coutume, il restera dans la rue. Ce sont deux obstinations qui s’affrontent celle d’un pouvoir aveugle face à celle de celles et ceux qui commencent à comprendre que la police n’est pas là pour défendre leur niveau de vie ou leurs intérets.

La dimension de blocage de l’économie va avoir un grand rôle aussi et, d’une certaine façon, clarifier les contours de la situation. Très clairement les "petits patrons" vont commencer à perdre et l’affrontement de classe peut se clarifier. Reste que rien n’est joué d’avance et que les tendances réactionnaire et nationaliste peuvent prendre beaucoup de place. Qu’elles sont les apprentissages et les discussions qui vont avoir lieu ? Qu’est-ce que le saccage de l’Arc de Triomphe symbole nationaliste si l’en est va provoquer ? Beaucoup de question, peu de réponse, quelques possibles peut-être... Il faudrat aussi voir ce qui va se passer si d’autres raisons de protester s’aglomèrent : les lycéen.nes contre parcoursup et le service national universel, les étudiant.es contre la hausse des frais d’inscription pour les étranger.es, etc...

La question centrale, en ce dimanche, est celle de la suite des événements. On est beaucoup à n’avoir jamais connu un tel bordel en centre-ville de Toulouse, comme ailleurs en France. Les syndicats de flics appellent le chef de l’État à faire intervenir l’armée, tandis que le ministre de l’Intérieur dit hésiter à instaurer l’état d’urgence.

La question est aussi de savoir comment participer à ce qui se passe et comment intervenir. Des lycées devraient être bloqués dès lundi (comme il y en avait déjà vendredi) et des appels à la grève circulent pour mardi. La rage qui s’est exprimé contre la police et sur les vitrines de banque ce samedi va-t-elle se transformer en un mouvement social plus important avec des grèves sauvages et une multiplication des blocages économiques ? Comment connecter ce qui nous oppresse au quotidien avec ce qui se passe ? Comment profiter du bordel pour attaquer ce qui nous contraint dans cette vi(ll)e ? Comment porter clairement une lutte anti-patriarcale et anti-raciste dans ce moment ? Comment par l’action directe partager des cibles, des dynamiques, des réflexions ? C’est aussi dans la capacité à continuer une dynamique de décentralisation des actions et de multiplications des lieux d’attaque que l’impact restera maximal

D’après la presse, il y aurait eu seize gardes-à-vue à Toulouse suite aux événements de samedi. Il est très possible qu’il y ait des comparutions immédiates lundi.

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Quelques’unes de la modé.

Ce qui est claire c’est que nous avons besoin de témoignages et d’analyse pour comprendre ce qui se passe comme l’ont fait nos amis parisiens du réseau mutu nous appelons à publier sur cette question. Nous signalons aussi une bonne compilation d’article sur le site brestois du même réseau.

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Notes

[1Des posts facebook évoque une personne dans le coma touché à la tête par un flashball. A l’heure où nous publions nous n’avons pas d’information vérifiée

[2Contrairement à ce qui a été dit précédemment c’est bien la personne qui a été déclaré dans le "coma". Pour l’instant nous n’avons pas plus d’information n’hésitez pas à faire tourner.

[3Du propre aveux de la police d’ailleurs, qui compterait 48 blessé.es selon ses propres chiffres. C’est sur que, sans CRS et GM, ilels faisaient beaucoup moins les malins

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  • 3 décembre 2018

    Merci pour ce gros boulot , après il faudrait se réunir pour mener une réflexion collective.... vaste programme :) En tout cas un gros Merci !


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