C’est d’ailleurs le cas le 2 février, le jour de l’acte XII, R. se fait contrôler près du lieu de manifestation à Toulouse : peu importe l’intention d’y aller ou non, l’arrêté préfectoral autorise contrôles et fouilles dans le périmètre. R. finit en garde à vue puis en prison pour “association de malfaiteurs”. Il est depuis maintenu en détention provisoire depuis bientôt quatre mois.
Ici la justice ne s’embarrasse pas de faits ou d’associé·e·s : les éléments à charge sont quelques clés en sa possession : allen, ptt et torx ainsi qu’une appartenance supposée à la mouvance anarchiste et/ou “ultragauche”. On comprend alors que c’est grossièrement l’ensemble des évènements des derniers mois qu’ils essaient de lui imputer : flics, procs et juges ont ici un bouc-émissaire idéal.
D’autant plus que le délit d’ “association de malfaiteurs” permet d’étendre les moyens de surveillance et d’enquête dont disposent les pandores. A Toulouse, c’est d’ailleurs dans ce cadre que plusieurs enquêtes sont ouvertes concernant le mouvement gilet jaune.
Alors que l’Etat - dont la légitimité ne reposera bientôt plus que sur la violence de la répression - chancelle, il s’attaque à ses opposants. Nombre de qualificatifs sur le mouvement sortent petit à petit dans les médias. Selon les semaines, c’est soit un mouvement dirigé par l’ “ultradroite”, soit un élan noyauté par l’"ultragauche" ou encore un repère de casseurs professionnels, parfois tout ça en même temps. Le but de cette manœuvre ? Décrédibiliser la portée révolutionnaire d’un mouvement large, multiple, divers et solidaire. Décrédibiliser en insinuant que les gilets jaunes sont manipulé·e·s, trop idiot·e·s pour savoir quand, pourquoi et comment lutter. En utilisant des mots-valises, le pouvoir tente de nommer quelque chose qui lui échappe afin de diviser les gens qui ne se reconnaissent pas dans ces catégories vides de sens.
En effet, cette force qui se lève depuis maintenant presque six mois ne peut exister pour le pouvoir que comme une pratique ultra, comme une manipulation politique. Il ne peut admettre qu’une part grandissante de la population souhaite sa chute, rêve de révolution, bien déterminée à la faire advenir. Les foules présentes sur les Champs Élysées le samedi 16 mars en sont un exemple éloquent. Il n’y a pas de casseurs ou d’ultragauche, il y a une foule déterminée à faire tomber le régime.
Et il faut bien l’avouer, si rêver d’une vie libérée des contraintes du capitalisme et de l’état fait de nous des malfaiteurs, des criminels ou des bandits, alors nous en sommes ; si ce qu’on nous reproche ce sont des ententes, des complicités ou des associations alors nous les revendiquons fièrement.
Nous vivons ensemble, tissons des liens et des amitiés, nous organisons pour, à la hauteur de nos moyens, contrer le désastre vers lequel court le monde actuel. Nous lisons, écrivons et distribuons, des livres, des journaux, des tracts et des brochures, nous participons aux luttes sociales, réfléchissons ensemble à l’état du monde qui nous entoure et à la manière de hâter sa chute. Nous rencontrons d’autres révolté·e·s, construisons nos propres outils de communication et d’organisation, bâtissons des solidarités loin des quotidiens aliénés auxquels nous assignent les démocraties libérales.
Et c’est bien ce qui nous est reproché.
Depuis le début de ce mouvement, plusieurs domiciles, lieux de vie, de passage et d’accueil ont donc été la cible de perquisitions, parfois menées sous cette inculpation d’"association de malfaiteurs". On ne s’étalera pas ici sur la violence d’un brusque réveil aux aurores, braqué·e·s par des policiers encagoulés, ou sur les pertes matérielles qu’il induit ; ni sur les heures d’audition en garde à vue, les pressions psychologiques, les questions insidieuses qu’ils peuvent poser. Cambriolage et prise d’otage sont les armes que déploie le pouvoir pour museler, intimider, briser les dynamiques. Ces opérations sont loin de concerner seulement les personnes qui en font directement les frais. La stratégie est bien connue : en frapper un pour en effrayer cent. C’est tout un mouvement qui, derrière ces grotesques manœuvres, est en fait attaqué. Les mouvements antagonistes, le mouvement des gilets jaunes, celles et ceux qui luttent, prenant rues et ronds points chaque semaine. Ces voix et ces corps qui n’en peuvent plus de courber l’échine face aux brimades, au mépris, à l’exploitation quotidienne, à l’ennui, aux violences, au désastre en cours. Ces voix et ces corps qui ne se tairont plus, qui ne se terreront plus.
Pour R. et ses ami·e·s, comme pour tous les autres, la peine, elle, court déjà. Chaque jour, chaque semaine, chaque mois qui passe, voit se multiplier le nombre d’otages que l’état fait parmi celles et ceux qui lui résistent. Rien qu’à Toulouse, plusieurs dizaines de Gilets Jaunes ont connu les hauts murs de Seysses. Les prisons sont pleines à craquer, on planifie donc d’en construire de nouvelles.
Distribuant les peines à la pelle, la justice dévoile ainsi sa véritable nature : elle n’est qu’un instrument de plus entre les mains des puissants, dont la fonction est claire : tout faire pour que rien ne change, garantir l’ordre établi et ses privilégiés. La violence que déploie aujourd’hui le pouvoir pour se défendre vient dévoiler la brutalité que nous subissons au quotidien : mépris, exploitation, boulots de merde, loyers démesurés, crédit à vie et vice-versa. Ce sont ces conditions d’existence face auxquelles nous sommes des dizaines de milliers à crier nos rages. Et pour ceux qui nous exploitent, pas question de lâcher, ils ont un monde de privilèges à défendre, ils font leur beurre sur notre dos et ont des armes policières et juridiques pour continuer à le faire. Nous avons nos liens et nos rencontres, nos désirs de liberté, nos corps et nos voix.
Nous ne céderons pas à la terreur ; quoi qu’en veulent Macron et ceux qu’il défend, quoi qu’en disent ceux qui le défendent. Ils interdisent les manifestations, menacent d’envoyer la troupe, blessent, tabassent, enferment à tour de bras, mais nous ne plierons pas ; malgré les intimidations, ces mesures ne font qu’accroître la colère. L’offensive est de taille et nous ne pouvons les laisser faire. C’est désormais la possibilité même de manifester qui est attaquée. Face à cette banalisation et à ce durcissement de la répression, dans la rue comme aux tribunaux, amplifions les luttes, multiplions les solidarités.
Le 17 mai aura lieu l’audience de renouvellement de la détention de R. Ne le laissons pas seul.
Nous appelons donc toutes les personnes et groupes touchées par la situation à soutenir R et tou·te·s les enfermé.e.s, à relayer cet appel, à faire vivre la solidarité, avec les pratiques qui sont les leurs.
La justice ne fait que son sale travail, nous comptons bien la combattre et non la réformer.
Liberté pour tou·te·s,
Des proches de R.
complements article
Proposer un complément d'info