Mortelle course-poursuite ce week-end à Toulouse

Dimanche 17 décembre, peu après trois heures du matin, deux Toulousains, Mohamed D., 33 ans et Farid E., 36 ans, ont trouvé la mort en voiture à l’entrée du périphérique de Toulouse sur l’échangeur de l’A68 dans des circonstances suspectes après avoir croisé la route de plusieurs véhicules de police et de gendarmerie. Tentative de compréhension du déroulé des événements.

Quelques heures suffisent à ce que la nouvelle sorte et, dès 8 heures du matin, les premiers articles paraissent en ligne. Il faut dire que l’accident est tel qu’il paraît impossible de le garder sous silence, d’autant plus qu’une partie de l’autoroute A68 est, par conséquent, coupée à la circulation. Les premières informations qui sortent, basées sur des sources chez les pompiers, évoquent une « course-poursuite », voire une voiture « prise en chasse par les forces de l’ordre ».

Sans doute pris de panique à l’idée que le récit de cet événement leur échappe, la police nationale, épaulée par le procureur de la République, Pierre-Yves Couilleau, reprennent très vite les rênes de la communication pour raconter leur vérité sur ce qui s’est passé dans la nuit. Ce que la police sait sans doute déjà, mais qu’elle ne communique pas, c’est l’identité des deux morts et, surtout, leur quartier d’origine : Bellefontaine. Il faut donc contrecarrer, le plus rapidement possible, la thèse d’une course-poursuite qui laisserait entendre la possible implication des forces de l’ordre dans la mort de ces deux personnes. Il faut couper court à la rumeur avant même qu’elle ne prenne. Dans ce type d’affaires, le spectre des émeutes n’est jamais bien loin, ce dont les chefs du commissariat central ont bien conscience, tout comme l’intérêt qu’ils ont à contrôler efficacement leurs communications et à étouffer au plus vite les braises qui pourraient prendre.

Dans la matinée, donc, Couilleau et les condés communiquent leur version des faits, à l’AFP et à tout journaliste d’astreinte en ce dimanche de décembre. Manque de bol, elle est bancale : soit les reporters du dimanche sont mal réveillés, soit il y a quelque chose qui cloche. En tout cas, dans les articles qui sont publiés, personne n’a l’air d’avoir compris la même chose. Ils racontent tous la course-poursuite (pardon, le « dispositif d’interception ») d’une façon différente, sans suivre de chronologie claire. À la lecture de ces articles, on a l’étrange impression que les flics, le proc et les gendarmes se prennent les pieds dans leur histoire et qu’ils n’ont pas eu suffisament de temps pour se briffer et tenir la même version. Accorder ses violons nécessite un certain talent que les protagonistes en question n’ont pas l’air d’avoir.

A partir de ce moment débute donc la parution d’une série d’articles, dans la presse locale et nationale, tous plus approximatifs les uns que les autres, qui ne permet que de se faire une idée vague de ce qu’il a pu se passer. Plutôt que de publier différents articles sur cette histoire, la rédaction de La Dépêche décide même de ré-éditer plusieurs fois son article en version web, gommant ainsi aisément le récit des événements qui avait été fait jusque là, avant que Frédéric Abela finisse par rédiger un nouvel article mardi soir pour expliquer qu’en réalité, les causes de la sortie de route étaient à chercher du côté de... l’alcool.

Le déroulé de la nuit mortelle

Essayons donc de comprendre quelque chose au récit des événements, rapporté au travers divers citations d’articles de presse :
Le début ? : « Les deux individus s’étaient enfuis en direction d’Albi après une tentative de contrôle boulevard Eisenhower, dans le quartier du Mirail. » (France Info) « Selon l’AFP, tout a débuté à 2h50 quand un véhicule de la Brigade anti-criminalité (BAC) de Toulouse s’est fait doubler par la droite sur le périphérique toulousain par une voiture roulant à très vive allure. » (Actu Toulouse) « Cette voiture a été signalée une première fois vers 2 heures quand suite à une embardée, elle a obligé une conductrice à se rabattre en catastrophe pour éviter l’accident. [...] Vers 2 h 50, boulevard Eihenhower, dans l’ouest de Toulouse secteur du Mirail, le même véhicule a doublé par la droite une voiture banalisée de la brigade anticriminalité. Les policiers ont voulu contrôler le chauffard mais ce dernier a accéléré. Les policiers l’ont perdu dans le secteur de Montaudran. » (La Dépêche)
La voiture volée ? « une Renault Mégane R.S., probablement volée » (France Info) « La voiture, peut-être volée - les policiers ne l’ont pas encore déterminé - mais qui était équipée de fausses plaques d’immatriculation » (La Dépêche) « le véhicule non déclaré volé était équipé de plaques de garage renvoyant à un autre véhicule en circulation » (La Dépêche)
La course-poursuite ? « Dans sa fuite, le véhicule aurait plusieurs fois réussi à distancer les policiers et les gendarmes. C’est une voiture de la Brigade anti-criminalité (BAC) qui a réussi à reprendre la poursuite au niveau de Toulouse. » (Actu Toulouse) « il n’y a pas eu pas eu de course-poursuite » (Paris Match/AFP) « Selon la police, la recherche des fuyards a duré car ces derniers ont roulé successivement sur l’autoroute, la nationale mais aussi des départementales pour échapper aux forces de l’ordre. » (Paris Match/AFP) « Poursuivis par la BAC, puis les gendarmes, ils avaient réussi à s’échapper. » (France Info)
Le véhicule de la gendarmerie ? « Selon Pierre-Yves Couilleau, les fuyards ont tenté de percuter à plusieurs reprises un véhicule de gendarmerie bien moins puissant venu en renfort. Ils ont ensuite repris la direction de Toulouse en s’engageant sur l’A68. » (20 minutes) « Selon les informations d’Actu Toulouse, un véhicule de la gendarmerie a d’ailleurs failli être percuté à trois reprises. » (Actu Toulouse)
La sortie de route ? « « Les pompiers ont indiqué que les deux victimes étaient décédées dans un véhicule poursuivi par la police. Mais il n’y a pas eu pas eu de course-poursuite. Il n’y avait aucun véhicule derrière eux », a affirmé une source policière. » (Ouest France) « L’accident à l’entrée du périphérique sur l’échangeur de l’A68 « a été filmé par les caméras du réseau autoroutier », a indiqué le magistrat précisant que les images démontraient que la police « était arrivée environ 45 secondes après l’accident » » (Ouest France) « À leur tour, les gendarmes avaient retrouvé le véhicule qui a refusé une nouvelle fois le contrôle. La Mégane a filé très vite pour se retrouver à hauteur de l’autoroute A 68. Deux minutes plus tard, les policiers découvrent la voiture écrasée et immobilisée sur le toit contre des glissières de sécurité. » (La Dépêche)

Conséquences

Pour quiconque connaît un peu la géographie de la région toulousaine, il est improbable de croîre qu’une même voiture puisse être repérée successivement sur une avenue du Mirail, sur le périphérique puis à l’Union , alors même qu’elle est décrite comme empruntant des « axes secondaires », sans qu’une course-poursuite n’ait été engagée et que seul un « dispositif d’interception » ait été mis en place. D’ailleurs, à travers un certain nombre de formulations, la police reconnaît à demi-mot qu’une chasse à la Mégane a eu lieu. Savoir si, oui ou non, au moment de la sortie de route, le véhicule avait distancé ses poursuivants importe finalement assez peu. L’évidence est là : cette nuit-là, Mohamed D. et Farid E. ont perdu la vie parce qu’ils étaient pourchassés par des voitures de police et de gendarmerie .

Hier comme aujourd’hui, la police assassine : elle tire à bout portant, elle roue de coups dans des cellules lugubres tout comme elle prend en chasse ses victimes. Ce week-end à Toulouse, deux hommes sont morts, traqués par de sinistres agents en uniforme. Il n’y a pas eu d’émeutes ni même de manifestations ou de marches blanches : le dispositif de contre-insurrection préventif a fonctionné à merveille. Il serait temps de lui mettre du sable dans les rouages.

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