Fragments d’une journée éco-responsable
Notre contemporain se réveille dans son appartement connecté qui gère énergie, chauffage, frigo, radiateur, etc., mieux qu’il ne le ferait lui-même. Il n’ignore pas que la domotique consomme beaucoup d’électricité, mais l’Internet des objets l’informe chaque heure de son "empreinte carbone" et l’aide à tenir son "compte individuel d’impact écologique".
Par-dessus sa chemise en coton bio, il enfile une doudoune faite de bouteilles en plastique recyclé et enfourche son vélo, classique mais où il a fait poser un dérailleur électrique. Croisant un camion de livraison DHL, il lit sur la carrosserie Powered by Electric Drive : It’s only Natural.
Les classes sociales... il doute fortement de leur existence, et plus encore d’une lutte des classes, mais il ne lui déplait pas de s’entendre inclure dans "les classes créatives". En effet, il travaille dans la communication, activité très peu polluante, répète-t-il, et son entreprise encourage le co-voiturage, installe des poubelles dédiées, conseille d’éteindre tout appareil inutilisé et d’imprimer le moins possible, en cela fidèle aux recommandations de l’Institut du Capitalisme Responsable : "L’économie verte concerne toutes les entreprises dès lors qu’elles repensent leur chaine de valeur et/ou de production en prenant en compte les enjeux de développement durable : empreinte écologique bien sûr, mais aussi enjeux sociétaux."
Il n’apprécie guère le "crédit social" chinois parce qu’au service d’un Etat autoritaire, quoique, disait un collègue, mieux vaudrait peut-être une dictature qui sauve des vies qu’une démocratie qui pleure ses morts. Mais que sait-on vraiment de la gestion chinoise du covid ? A qui se fier ?... On ne peut plus faire confiance aux médias, ni aux politiques : en général, il vote Vert, mais le plus sûr est d’agir localement sur ce qui dépend réellement de chacun : il vient d’offrir à son neveu une maison à assembler dont les briques sont en plastique issu de filets de pêche récupérés.
Son amie, rencontrée en VR (virtual reality), prépare une licence en décroissance.
Il la retrouve pour réserver des billets d’avion : dix jours de tourisme solidaire à Madagascar ("Nos voyages changent le monde !"). Ils payent la plantation d’arbres en Indonésie pour compenser les émissions de CO2 dues à ce vol. Un certificat de parrainage l’atteste.
En attendant, dans le "hall climatique" aménagé par la mairie, ils découvrent la maquette d’un futur E3S, "Ecoquartier smart, sobre, sécure", voué au ZAM ("Zéro Artificialisation Nette").
L’exposition lui donne envie de vivre dans un E3S : " En plus, une ferme urbaine d’un hectare alimentera la cantine scolaire !"
Elle serait plutôt sceptique : "On dirait un décor de film."
Quelques courses avant de rentrer. Il évite les supermarchés, mais Lidl est au coin de la rue : il y a un mois encore, le ticket de caisse provenait d’une gestion forestière durable ("Un geste pour la planète ! En route vers demain"), depuis, fini le ticket - autant de ressources sauvées, se réjouit-il. Quoique... tout ce qui est censé remplacer le papier est fortement énergivore, par exemple, l’envoi du ticket par mail, le stockage des données étant une catastrophe écologique : il en est conscient... mais on finira par trouver une solution.
Il constate que le postier a déposé par erreur dans sa boîte à lettre un magazine destiné à son voisin, emballé sous enveloppe de fécule de pomme de terre 100% recyclable : déjà un progrès, mais le voisin serait mieux inspiré de le lire en ligne.
Un dernier regard au smartphone : "le prolongement de ma main", aime-t-il à plaisanter. Fairphone est probablement la marque la plus écologique - durable, réparable, équitable - mais il attendra que les modèles soient plus au point pour renoncer à son Samsung Galaxy. Avant de s’endormir, il lit le dernier rapport du GIEC, plus alarmant que le précédent : les politiques actuelles mènent à un réchauffement de 3,2° en 2100, rendant bientôt "invivables" de nombreuses régions du globe. Lui, qui ne ménage pas ses efforts, risque de fort mal dormir et se dit que finalement, il aurait mieux fait de lire de la poésie.
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