Sivens et les biens communs

De Sivens au reste du monde, les grandes firmes techno industrielles aidées par les élus privatisent nos espaces publics et privés.

Le projet de Sivens 1 qui s’est terminé aussi dramatiquement que piteusement, d’abord par la mort d’un jeune opposant puis le rendu d’un rapport d’experts qualifiant le projet de médiocre, est un cas d’école en matière de confiscation des biens communs aux bénéfices d’intérêts privés.
Sivens 2, malheureusement, chausse les mêmes sabots que son prédécesseur et marque l’entêtement servile de nos élites locales.

De bien mauvaises habitudes

À la décharge de nos élus, il faut bien dire qu’on leur a laissé prendre de mauvaises habitudes. Depuis des décennies on leur laisse penser que les bulletins de vote recueillis équivalent à un blanc-seing. Du coup, la notion de représentation est tombée dans l’oubli (si tant est qu’ils l’aient jamais prise au sérieux). Forcément, ils se sont sentis pousser des ailes, de plus en plus grandes, ils ont même fini par croire qu’être élu leur permettait d’acquérir des compétences qu’ils n’avaient jamais eues. Dans la foulée, ils se sont octroyés des pouvoirs démesurés, se sont persuadés qu’ils étaient l’élite du peuple et que leur devoir était de le conduire, ce peuple fruste, sur la voie du progrès, ou en tout cas, de ce que eux-même considèrent comme tel.
Ont-ils oublié qu’ils ont été créés par les gros chèques de quelques milliardaires qui ont mis à leur disposition les journaux, radios, télés qu’ils détiennent grâce à leur fortune ? En fait d’élites ils ne sont que les valets, ou les hommes de mains c’est selon, de leurs donneurs d’ordres.
Leur orgueil, leur vanité, leur sentiment de puissance sont si violents qu’ils en deviennent pathologiques.

Tout est à eux ?

Pour ces gens, maîtres comme valets, tout est bon pour faire fructifier leurs colossaux intérêts. Aujourd’hui, la quasi totalité de l’espace public leur appartient et, au-delà, ils s’approprient une part de notre intimité. Il est, par exemple, devenu impossible de circuler en ville sans se retrouver placé sous le regard inquisiteur d’une foultitude de caméras aux capacités de plus en plus intrusives. Ceux d’entre nous qui utilisent les réseaux sociaux confient leur vie privée, quasiment à leur insu, à des spécialistes de la récolte (du vol ?) de données. Celles-ci seront manipulées, traitées, revendues à des fins commerciales ou, pire encore, pour surveiller et ficher les populations et plus particulièrement les opposants. Cette captation d’informations est même mise en place à l’intérieur de nos domiciles avec le déploiement du fameux compteur de consommation électrique qualifié d’intelligent. Gageons qu’en fait de compteur intelligent, on a à faire à un compteur malin qui saura débusquer nos habitudes, nos goûts, nos choix de consommateurs. Je n’oublie pas les indispensables smartphones et cartes de crédit qui nous tracent de plus en plus finement. Nous sommes entrés dans une société de la surveillance permanente et généralisée. Bien sûr tout cela serait fait pour notre bien, notre sécurité, la croissance donc l’emploi mais en réalité le pas à franchir est bien petit qui nous sépare d’un régime totalitaire.
Et des données, ils n’en recueillent jamais assez. Il en faut toujours plus pour assurer une surveillance sans cesse plus précise de nos vies ; mais il faut être capable d’en recueillir des quantités colossales pour répondre aux besoins de leurs projets technologiques déments sensés améliorer notre confort, notre sécurité [1]... Aussi, les Free, Bouygues, Oranges... sont ils autorisés à déployer sur l’ensemble du territoire des quantités jamais atteintes d’antennes de nouvelles générations (5G) aux cotés des anciennes, toujours en service, qui plongent les habitants dans un brouillard électromagnétique toujours plus épais. Les effets de ces ondes, leurs concentrations déclarés potentiellement dangereux n’ont pourtant jamais fait l’objet d’études sérieuses.
De la même manière, mais là au bénéfice des groupes de l’agroalimentaire et de la chimie, les terres agricoles sont tombées entre leurs griffes. Les agriculteurs sont amenés à signer des contrats léonins, ils sont manipulés, étranglés et ces sociétés, pour leur plus grand bénéfice et sans l’ombre d’un scrupule, peuvent alors fournir aux consommateurs une nourriture de moins en moins riche qui imprègne leurs corps et leur environnement de molécules inquiétantes. Les produits chimiques déversés depuis des lustres sur nos terres remplissent parfaitement leur rôles de biocides : les terres, leurs occupants, leur environnement se meurent créant des déserts qui seront incapables de nourrir les humains. Les quelques plantes qui auront la force et le courage de pousser ne pourront même plus être pollinisés. C’est au vol de nos terres agricoles et à leur destruction systématique que nous assistons pour le seul profit de quelques firmes.
Ils ne respectent même pas l’air et le rendent si dangereux à respirer qu’au cours de ces longues semaines où une partie de la société techno industrielle a été mise à l’arrêt, l’amélioration de la qualité de l’air fut si spectaculaire que certains scientifiques ont affirmé que le confinement sauverait plus de vies grâce à la baisse de la pollution que le virus n’en menaçait. Mais, dès le déconfinement amorcé, et malgré les déclarations lénifiantes faites la main sur le cœur quelques jours avant, des centaines de milliards d’euros sont sortis du chapeau pour voler au secours des compagnies d’aviation, d’Airbus, Renault et consorts afin de rendre à ce bien commun à l’humanité : l’air, le petit goût destructeur qui manquait à nos dirigeants et qui nous fera de nouveau tousser.
Rien n’échappe à leur voracité, que ce soit les régions froides de l’Arctique ou de l’Antarctique voire es océans utilisés comme de bien pratiques et peu onéreux dépotoirs. Un peu plus loin, au dessus de nos têtes, leur avidité sans borne leur fait coloniser notre espace. Le nombre de satellites lancés augmente selon une courbe exponentielle. Aujourd’hui, nous avons plus de 2600 de ces appareils – dont nombre d’entre eux présentent une utilité, à minima, angoissante - qui gravitent autour de nous en compagnie de plusieurs milliers de tonnes de débris de tailles diverses amorçant la première décharge sauvage en orbite.
Ce que pointe cette courte liste, bien loin d’être exhaustive, c’est la capacité de nuisance de ces puissances politico-financières, leur absence totale de scrupules et de morale et leur mépris de la démocratie qui leur fait privatiser nos biens communs à leur profit sans qu’à aucun moment ils prennent l’avis des peuples. Ceux-ci ne préféreraient-ils pas rendre prioritaire l’accès à la santé, à une alimentation saine, à l’eau potable ou à une habitation décente pour chaque humain. Peut-être souhaiteraient-ils que soit respectés tous les biens humains, de quelques natures qu’ils soient, et qu’en aucun cas ils soient livrés à l’avidité de quelques individus ?

Le cas Sivens

Ici aussi la démarche est la même. La lutte menée par les opposants au projet de barrage a montré le peu de cas que nos élus font de parcelles de nos territoires, biens communs des populations locales, qu’ils livrent sans vergogne aux appétits de groupes de l’agro-industrie, des transports, des travaux publics et autres. Le Conseil Départemental , dans sa quête, n’a pas hésité à avoir recours aux mensonges, conflits d’intérêts, violences diverses (celles de la gendarmerie ou de milices protégées par ces mêmes gendarmes) couvert qu’il a été par les services de l’État : de la préfectures à différents ministères.

Sivens et ses biens communs

L’eau

Le premier des biens communs à être mis à mal à Sivens et plus largement sur le bassin du Tescou est bien sûr l’eau. L’écoulement moyen du Tescou a chuté de 45 % au cours des quatre dernières décennies. Les deux principales raisons de cette baisse sont d’une part l’augmentation des prélèvements d’irrigation, d’autre part, les variations climatiques et plus particulièrement la baisse des précipitations et la hausse de l’évapotranspiration [2]. Il est à noter que ces deux raisons sont dues à une gestion de notre société allant dans le sens unique d’un développement économique fondé sur l’augmentation ininterrompue de la sacro-sainte croissance. Le choix de fournir encore plus de cette
ressource commune qu’est l’eau aux agriculteurs et plus particulièrement à leur donneurs d’ordres aura pour conséquence de :

  • mettre en péril l’approvisionnement en eau potable des populations locales ;
  • mettre les agriculteurs en position de dépendance à l’irrigation dans une période de raréfactions avérées.

La zone humide et son environnement forestier

C’est avec l’aide de la gendarmerie que le Conseil Départemental a tenté d’imposer son projet, allant de violences en violences jusqu’à se rendre complice de la mort d’un jeune naturaliste [3]. Pourtant ces opposants, traités de tous les noms par les tenants du pouvoir, voulaient simplement, au nom de la vie présente et à venir, sauver quelques centaines d’arbres, une zone humide, sa faune et sa flore. N’oublions pas que la végétation, du plus petit brin d’herbe au plus imposant des arbres, est le meilleur et le plus efficace des capteurs de CO2 . Rappelons, en ces temps de dérèglement climatique, qu’une zone humide quant à elle c’est :

  • un lieu où la nature sait absorber une partie des excès d’eau dues aux crues ou inondations qui nous sont promises, toujours plus brutales, toujours plus nombreuses ;
  • un lieu où la nature sait stocker de l’eau en période sèche permettant ainsi la préservation d’une biodiversité indispensable à la vie ;
  • un lieu où la nature sait stocker le carbone qui nous tue à "petit feu". Ce carbone dont nous voulons faire baisser la teneur dans l’atmosphère en ayant recours à des technologies coûteuses en énergies, productrices de CO2 et voraces en eau.

L’argent des contribuables

10 millions d’euros, est le coût estimé du projet. 10 millions pris sur les deniers publics sans que le public – justement – ait son mot à dire quant à son utilisation. Lui a t-on demandé s’il souhaitait que cette somme soit allouée à des travaux permettant d’irriguer de plus en plus de champs de maïs pour le compte de la Ragt, de Syngenta et consorts, ou s’il préférait que soit prise en compte les préconisations du Giec [4] concernant les modifications urgentes à mettre en œuvre pour limiter à des valeurs encore supportables la hausse de la température. Certains agriculteurs ouvrent la voie et démontrent qu’une autre agriculture est possible, respectueuse de l’environnement, du producteur et du consommateur. Mais pour seulement envisager cette hypothèse il faudrait que nos décideurs soient prêts à remettre en cause, pour le bien de l’humanité, les débouchés des grandes sociétés de l’agrochimie. Pour cela, encore faudrait-il que courage et honnêteté ne leur fasse pas défaut.

Les terres agricoles

Les terres agricoles aussi sont un bien commun et peut-être serait-il temps de remettre en cause l’utilisation que l’on fait de ces biens qui ont pour vocation de nous nourrir. Peut-on accepter, qu’au prétexte de propriété, on puisse laisser mettre en œuvre des techniques destructrices des sols et de leur environnement ? Techniques qui, à terme, remettent en cause la possibilité d’alimenter les générations futures.

Quelles perspectives ?

La lutte des indiens d’Amazonie pour sauver leur forêt recueille la sympathie de la plupart d’entre nous et pourtant lorsque certains des nôtres décident de défendre un de nos biens communs, l’incompréhension voire une franche hostilité se manifeste parmi les populations voisines. Tout se passe comme si nous étions si bien dressés qu’il nous devient difficile de penser que nos dirigeants ne puissent vouloir autre chose que notre bien, qu’ils ne détiennent pas une connaissance, une vérité qui nous fait défaut à nous qui les avons peut-être élus. Cette indolente acceptation des décisions de l’autorité par tout un peuple a été nommée servitude volontaire [5] par un jeune homme dans la deuxième moitié du XVIe siècle...
Il est temps de nous poser une question : de quelle force, de quel pouvoir ces élus se sentent-ils investis pour oser détruire un bien, en l’occurrence une forêt et une zone humide, appartenant aux habitants et plus largement étant patrimoine de l’humanité ? Qu’avons-nous loupé qui ait fini par laisser croire à ces personnages qu’ils pouvaient impunément s’octroyer des droits qui ne leurs ont jamais été confiés ? Et on pourrait également poser la question à tout ceux qui se permettent de négocier avec d’aussi peu scrupuleux partenaires sur le dos des habitants du cru et d’équilibres écologiques déjà fort mal menés.
Ces gens là se comportent comme de véritables prédateurs. Ils ne sont pas des adversaires, ils sont nos ennemis ; ils sont bien décidés à faire main basse sur nos biens et nos vies. Décidons-nous à stopper toute activité qui puisse les légitimer : boycottons leurs meetings, refusons leurs négociations pipées, rejetons le piège des élections truquées par l’argent et les médias.
La plus probable des perspectives dont nous disposions ne serait-elle pas de montrer que nous ne sommes pas un troupeau de moutons suivant un berger, mais des humains qui veulent reconquérir leur liberté ?

Notes

[1Déploiement de véhicules autonomes, consultation médicales distancielles, agriculture satelloguidée...

[2Voir annexe 4 du rapport demandée par la ministre de l’écologie et rendu en janvier 2015

[3Rémi Fraisse tué dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014 par le jet d’une grenade offensive.

[4On peut lire une synthèse de leur dernier rapport en français ici.

[5Étienne de la Boétie : Discours sur la servitude volontaire.

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