Parcoursup, contrôle continu et confinement : les lycéen·nes dans la tourmente
Pas facile d’être au lycée sous Macron ! Pour la troisième année consécutive, la plateforme Parcoursup va stresser de nombreux·ses lycéen·nes pendant de longs mois le temps qu’elle fasse son sale boulot d’orientation. Le 19 mai, les premiers résultats sont tombés et il faudra attendre un peu avant que des études statistiques précises soient publiées même si le Groupe Jean-Pierre Vernant a déjà commencé. Il estime via les données parcellaires fournies par le ministère que seulement 54 % des bachelièr·es ont reçu une offre et que seulement 13 % ont obtenu leur premier choix.
On peut par ailleurs noter que la hausse des frais d’inscription à l’Université pour les étrangèr·es a fait son travail : on constate une baisse de 30 à 50 % des demandes d’étudiant·es étrangèr·es.
Dans la droite ligne des réformes récentes, on annule les épreuves écrites du Bac qu’on souhaitait de toute manière remplacer autant que possible par le contrôle continu et on continue le tri social !
Un article de 2019 de Lundi Matin analysait bien les enjeux de Parcoursup. Une des conséquences les plus évidentes étant d’autoriser la sélection pour compenser l’augmentation démographique sans créer de nouvelles universités. On peut cependant noter d’autres avantages que tire le gouvernement de Parcoursup : l’effet d’angoisse générée par la « mise en attente » fait accepter avec soulagement une formation pour laquelle le ou la candidat·e n’a ni affinité ni appétence. D’autre part, l’algorithme dépossède les jeunes adultes de leur autonomie et simultanément les rend responsables de leur position sociale.
En continuant à utiliser Parcoursup après les échecs des années précédentes [1], le gouvernement se rend directement responsable de souffrances psychologiques de masse : ainsi du 25 mai au 15 juillet, les candidat·es n’ayant toujours pas de propositions auront un délai d’uniquement 3 jours pour répondre à toute nouvelle proposition qui peut arriver à tout moment. Si vous voulez avoir un peu de temps pour réfléchir à votre avenir et vous déconnecter d’Internet pendant l’été, Parcoursup est votre ennemi. Un article payant du Monde corrobore ces souffrances : sentiment d’impuissance, angoisse, poids cognitif et affectif...
Et cette année, en plus de Parcoursup, le baccalauréat et le confinement ont déjà stressé les lycéen·nes. Ainsi les élèves de première viennent tout juste d’apprendre que l’oral du bac de français est annulé, après un long moment de stress. De même que pour les autres épreuves, la notation sera celle du contrôle continu sur les deux premiers trimestres. Si vous espériez vous rattraper lors des exams finaux ou lors du 3ème trimestre, le ministère de l’Éducation Nationale n’en a rien à faire. Ou bien si, il annonce dans sa grande mansuétude que les rattrapages seront maintenus...
Éducation : un enseignement à distance « obligatoire »
Une proposition de loi du 19 mai suggère un petit changement dans le code de l’éducation. Un changement minime, puisque cette proposition de loi est constituée d’un unique article, de 2 lignes :
Au deuxième alinéa de l’article L 131‑2 du code de l’éducation, après le mot : « est », il est inséré le mot : « obligatoirement ».
Mais qu’est-ce que ce deuxième alinéa de l’article L 131-2 ? C’est celui qui dit, avec l’ajout de ce petit mot : « Dans le cadre du service public de l’enseignement et afin de contribuer à ses missions, un service public du numérique éducatif et de l’enseignement à distance est obligatoirement organisé pour, notamment : […] ».
Avec un obligatoirement en plus, il s’agit donc de systématiser l’usage du numérique dans l’enseignement à distance, de l’école à l’université. La proposition de loi émane de la députée F. Meunier. Elle met en avant quelques avantages qui justifieraient cet enseignement distanciel obligatoire. Par exemple, si des élèves sont malades, ou se retrouvent bloqué·es dans les transports en commun, si l’instruction se fait à la maison ou encore si les parents ne peuvent payer à leur enfants un logement proche de leur fac, etc.
Ces justifications soulèvent de nombreux problèmes et semblent surtout symptomatiques d’une façon de considérer les apprentissages. Si l’éducation nationale appelle à une différenciation des apprentissages afin de s’adapter aux besoins et niveaux hétérogènes des élèves en classe, c’est ici une individualisation forte qui apparaît. L’idéologie méritocratie fait des dégâts chez certain·es profs qui mettent en avant l’avantage de l’enseignement à distance pour certain·es élèves qui ne seraient alors pas ralenti·es par la classe (comme par exemple dans des commentaires de ce débat sur le site Néoprofs).
D’autant plus qu’il a déjà été bien signalé que l’accès à internet est très hétérogène entre élèves, et dépend notamment de la situation sociale. Une enquête mené par des chercheurs et des chercheuses de Aix-Marseille Université pendant le confinement confirme, sur un ensemble de 6000 réponses, ces inégalités et décrit aussi celles entre profs. Inégalités entre les profs qui connaissent bien les arcanes d’internet et de l’informatique et celleux qui ont du utiliser l’ordinateur d’un·e conjoint·e pour travailler. Ou inégalités entre celleux qui ont du mal avec les PDF et celleux qui sont à l’aise avec divers formats numériques et sont mis en avant, comme Cyril et Nicolas, cités par S. Dehaene ou interrogés par le Café Pédagogique ...
On peut se poser aussi la question du droit à la déconnexion dont l’étendue actuelle est expliquée dans cette fiche. Pour les profs dont on imagine qu’iels devraient alors obligatoirement faire cours dans la journée et assurer l’enseignement numérique à distance en dehors de leur cours. Mais aussi pour les élèves qui devront suivre les cours même malades ou bloqué·es dans les transports en commun. Dans quelle mesure cette obligation d’enseignement à distance empiètera-t-elle sur des moments qui ne devraient pas être travaillés ? sur la vie de la famille des élèves absent·es pour lesquel·les les parents devront aussi probablement assurer le suivi de l’enseignement à distance ?
Cette proposition de loi pourrait être un essai pour ensuite accentuer la part du numérique et du distanciel dans l’enseignement. Il semblerait en tout cas que l’institution souhaite se donner des moyens d’évaluer l’apport du numérique ... en profitant des évaluations communes nationales de CP, CE1, 6ème et secondes à la rentrée 2020. Ces évaluations avaient été critiquées lors de leur mise en place par exemple par le Snes ou par Sud Éducation. Ces syndicats critiquaient notamment que les évaluations avaient été imposées d’en haut, qu’elles ne prenaient en compte qu’un point de vue quantitatif et qu’elles avaient pour ambition de comprendre comment améliorer la réussite des élèves alors qu’aucune mesure concrète n’était prévue ensuite... Le Conseil Scientifique de l’Éducation Nationale propose d’utiliser ces évaluations (pdf, p16) pour savoir dans quelle mesure le confinement a eu un effet sur l’acquisition des savoirs par les élèves, ce qui « permettrait d’évaluer rétrospectivement l’efficacité des outils et des efforts déployés ».
Malgré un travail aux sources scientifiques multiples et indiquées, ces Recommandations pédagogiques pour accompagner le confinement et sa sortie manquent ici un point essentiel de la démarche scientifique : la prise en compte des facteurs confondants. Évaluer l’impact du confinement sur la scolarité ne permettra pas nécessairement d’en conclure sur l’efficacité des outils numériques puisque de nombreux autres facteurs entrent en jeu (accès à internet, apprentissages collectifs vs. individuels, impact psychologique du confinement, etc.), que le Conseil Scientifique de l’Éducation Nationale ne mentionne pas.
Notons aussi que ce même Conseil Scientifique se fend d’un magnifique « Ce n’est pas l’outil écran qui est problématique, son caractère bénéfique ou problématique dépend intégralement du contenu pédagogique et de l’usage qui en est fait ». Or, si, les outils peuvent être problématiques : on vous avait à ce propos déjà parlé d’Ivan Illich et de son approche de l’outil : pour lui, lorsqu’un outil, passé un certain seuil, ne vise plus que son auto-reproduction, il devient destructeur. Où en est-on en ce qui concerne le numérique éducatif, soutenu par un ensemble d’acteurs autres qu’éducatifs (voir d’ailleurs notre autre brève à ce sujet), pour lesquels le développement et la reproduction de ces outils sont source de capitalisation financière, quel que soit leur usage ?
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