Le 4 octobre dernier, le tribunal administratif de Toulouse saisi en référé considérait que les conditions de détention au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses méconnaissaient gravement les droits fondamentaux des personnes incarcérées. Cellules insalubres, toilettes non cloisonnées, cours de promenade infestées de rats et dénuées de bancs et d’abri, abords des bâtiments jonchés de détritus, climat de violences et d’insécurité, problèmes d’accès aux soins… Autant de problèmes qui sont aggravés par la surpopulation chronique de l’établissement : selon les derniers chiffres du ministère de la Justice, il abritait 1 122 personnes pour 644 places opérationnelles.
Pour y remédier, le gouvernement a donc décidé de la construction d’une nouvelle prison dans la ville voisine de Muret, qui accueille déjà un centre de détention de 614 places. Un nouvel établissement pénitentiaire donc, de 600 places, véritable usine carcérale dont la construction s’inscrit dans le cadre d’un programme de construction de 15 000 nouvelles nouvelles places de prison.
Des citoyen.ne.s de la région toulousaine, rejoints par des organisations et associations de défense des droits de l’homme regroupés au sein du Collectif pour un Muret écologique et non carcéral ont décidé de s’opposer fermement à ce grand projet inutile. Leur première critique concerne la manière dont a été conduit ce projet, qui a avancé dans l’ombre pendant plusieurs années. « Il est surprenant de constater qu’il a fallu attendre 4 ans pour la tenue d’une enquête publique d’un projet urgent » ironisait avec sévérité le commissaire enquêteur dans le cadre de l’enquête publique menée au début de l’année 2021. Une enquête par ailleurs réalisée pendant une période pandémique peu propice à la participation des personnes directement concernées par ce projet.
Si les opposants à ce projet expriment de la colère quant à l’absence de débat démocratique autour de ce projet, ils portent une critique virulente sur les conséquences environnementales qu’aurait la réalisation de celui-ci. En dépit de toute logique, le lieu d’implantation de ce projet a en effet été choisi sans qu’aucune recherche alternative de localisation n’ait été réalisée à Muret ni même dans le département de Haute-Garonne. Dans son rapport, le commissaire enquêteur soulignait en effet que la démarche « éviter, réduire, compenser » (ERC) pour le choix du site n’a pas été effectuée et l’évitement du prélèvement de terres agricoles et de la proximité d’habitation proches n’a été ni étudié ni même évoqué, soulignant que « c’est un manque dans la conduite d’un tel projet de 100 millions d’euros, en méconnaissance du code de l’environnement qui stipule l’obligation d’éviter les impacts par des recherches d’alternatives ». Pour la construction de cette prison, le ministère de la Justice a en effet fait le choix - difficilement compréhensible - d’un emplacement situé en zone agricole protégée, faisait fi de toute exigence et de toute logique environnementale. La réalisation de ce projet entrainerait l’expropriation de plusieurs paysans, ce qui aurait pour conséquence de fragiliser leurs exploitations. Ce sont 17 hectares de terres agricoles, comportant une zone humide et plusieurs espèces animales et végétales protégées, qui se verront artificialisées et bétonnées. Le site d’implantation se situent par ailleurs à proximité immédiate (200 m) d’une dizaine d’habitations, d’une aire d’accueil pour les gens du voyage avec une vingtaine de familles sédentaires mais aussi d’un lotissement, ce qui engendrera des nuisances très importantes, impossible à compenser pour les riverains.
Ce projet de construction d’une troisième prison dans l’agglomération toulousaine est aussi un « non-sens politique et financier » dénoncent les opposants. L’extension du parc carcéral, présentée par le gouvernement comme l’une des principales réponses pour lutter contre la surpopulation carcérale et l’indignité des conditions de détention, est en effet une vieille recette qui a déjà fait la preuve de son inefficacité : depuis 30 ans, la France construit de nouvelles prisons qui débordent aussitôt. Outre qu’ils échouent à absorber le recours croissant à l’incarcération, ces investissements immobiliers sont particulièrement coûteux et amputent le budget de l’administration pénitentiaire des fonds qui seraient nécessaires à l’amélioration des conditions de détention et la réinsertion des personnes condamnées.
Enfin, et c’est assez nouveau pour une lutte contre la construction d’un établissement pénitentiaire, les opposants soulèvent des questions de fond : souhaitons-nous un monde dans lequel nous voulons toujours plus de forces de police et de prison ? La prison est-elle un dispositif efficace de lutte contre la délinquance et la récidive ? N’aggrave t-elle pas les maux qu’elle est censée résoudre ? De plus en plus de voix s’élèvent désormais pour dénoncer les effets de cette peine sur ceux et celles qui la subissent, l’indigence des moyens alloués à la préparation à la sortie des condamnés, l’absence d’études démontrant la caractère dissuasif de la prison, les conditions de vie dans lesquels sont emprisonnées les personnes détenues, la privation des droits élémentaires ou encore le manque le manque de soins psychologique et psychiatrique entre les murs. Dans une tribune parue dans le journal Le Monde en 2017, les signataires écrivaient : « Prétendre qu’il faudrait plus d’incarcération pour répondre à la délinquance relève désormais d’une posture intenable, voire d’une imposture ». Parmi eux figurait un certain Eric Dupond-Moretti, alors avocat et désormais Garde des Sceaux, ministre de la Justice.
« Je n’ai pas trouvé dans le dossier de l’enquête publique et dans les réactions que celle-ci a suscitées, les éléments en nombre et en qualité suffisants pour motiver un avis favorable même assorti de réserves qui n’auraient pas remis en cause l’économie générale du projet », estimait sévèrement le commissaire enquêteur dans son rapport publié en avril 2021 à propos du projet de Muret. Et de poursuivre tout aussi sévèrement : « Se désintéresser des habitants, des agriculteurs et des terres agricoles va à l’encontre d’autres utilités publiques, telles la santé des riverains et la préservation de l’agriculture locale ». Pourtant, malgré les avis défavorables de la municipalité de Muret, de la communauté d’agglomération du Muretain Agglo, du département, de la chambre d’agriculture de Haute-Garonne et in fine du commissaire enquêteur, le préfet d’Occitanie a déclaré le 27 juillet 2021 ce projet d’utilité publique. Une véritable déclaration de guerre pour les opposants qui tenteront de se faire entendre en organisant une première manifestation le mercredi 12 janvier 2021 à 15h00 devant la sous-préfecture de Muret. Alors que l’urgence est aujourd’hui à la conservation des terres agricoles, à la préservation des espaces naturels sensibles, à la construction d’une société véritablement démocratique, apaisée et solidaire, ils n’espèrent qu’une seule chose : l’abandon, « ici et ailleurs » de ce projet.
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