Contexte politique
Le maire précédent Pierre Cohen n’avait pas fait un choix anodin en nommant Jean-Pierre Havrin adjoint à la sécurité. Haut fonctionnaire de police, il introduisit en France autour des années 2000 le concept de police de proximité en se servant de Toulouse comme laboratoire.
En 2003, il se faisait virer par Sarkozy après une visite particulièrement médiatisée où le ministre de l’intérieur déclarait que la police n’était « pas là pour organiser des matchs de rugby ». Nommé par Cohen en 2008, Havrin avait continué à développer son idée à Toulouse, en mettant en place une « police municipale de proximité » et en développant une « office de la tranquillité », version soft et bon teint d’une police qui s’immice dans les comportements et les usages. Les arrêtés contre les affiches, les tags et l’alcool vont venir donner du grain à moudre à la municipale.
En 2014, c’est d’un tout autre bonhomme que s’entoure Jean-Luc Moudenc. Olivier Arsac, président local du parti de Nicolas Dupont-Aignan « Debout la France », dont le plus beau souvenir dans la vie est d’avoir fait « un discours d’introduction au meeting de Charles Pasqua et Philippe De Villiers à Toulouse devant une salle comble en juin 1999 » [1], a un rêve pour Toulouse : « mettre la police partout. » [2]
Soutenus par Manuel Valls et Bernard Cazeneuve dans leur politique sécuritaire [3], Arsac & Moudenc ont eu vite fait de remettre de l’ordre dans la cité. Armement des agents de PM et doublement de leurs effectifs, nouvelles brigades, patrouilles de nuit, vidéosurveillance, observatoire de la délinquance... Tour d’horizon des nouveaux outils dont s’est dôtée la municipalité dans sa guerre aux pauvres.
Nouvelle convention de coordination
La convention de coordination définit les modalités de la coopération entre l’Etat et la mairie dans le domaine de la sécurité. Chaque ville rédige sa propre convention, votée en conseil municipal. C’est un document important car c’est de lui dont va dépendre le champ d’action et donc le niveau de dangerosité de la police municipale.
Sans surprise, celle signée fin 2014 traduit le virage sécuritaire pris par les autorités locales.
Premier objectif affiché : réinvestir les quartiers. La PM patrouille désormais dans les Zones Urbaines Sensibles (ZUS) [4]. Il est prévu que les fonctionnaires municipaux passent d’abord par une « période d’immersion » (sic) d’une durée de quinze jours dans une équipe de nationale. « Elle permettra aux agents de police municipale de mieux connaître leur terrain d’intervention. » L’exotisme, le néocolonialisme, tout ça tout ça.
La convention organise la centralité du numéro d’appel gratuit Allo Toulouse (3101) [5] dans le nouveau dispositif de flicage des toulousain.es.
Les appels reçus par le service « Allô Toulouse » (3101) concernant un aspect de sécurité ou de tranquillité seront orientés vers le service de la police municipale. Le service de police municipale décidera, en fonction de l’urgence, d’une intervention ou orientera, selon la gravité de la situation décrite, vers le service de la police nationale
La convention met l’accent sur la communication et l’échange d’informations entre la nationale et la municipale.
- Formations communes ;
- Procédures de travail communes, notamment pour tout ce qui concerne l’ivresse publique ou au volant ;
- Réunions régulières entre le directeur départementale de la sécurité publique et le maire ;
- Réunions au minimum mensuelles entre le directeur départementale de la sécurité publique et le directeur de la police municipale ;
- Echange quotidien d’informations entre les deux services. « Un diagnostic des principales problématiques de sécurité et un état de l’évolution de la délinquance, par secteur et type de délinquance, sont communiqués chaque semaine par la police nationale à la police municipale lors de réunions de coordinations tenues à l’hôtel de police nationale. »
Par ailleurs, un policier municipal est détaché au centre de commandement de la police nationale (PN), à l’écoute du réseau radio de service de la police municipale. Il constitue en temps réel l’interface opérationnel entre l’ensemble des services de la PN et les patrouilles de la PM déployées sur la commune. Il est le relais des policiers municipaux pour toutes demandes de consultation des fichiers police, mais également pour faciliter le contact entre une patrouille de la PM et un-e OPJ.
Dans un contexte de réduction des effectifs de fonctionnaires, il s’agit « d’optimiser la présence sur le terrain et la coordination » comme se plaisent à dire celles et ceux qui nous gouvernent. La PM devient en gros une police comme une autre.
Observatoire de la délinquance
Cette collaboration renforcée entre PM et PN a permis la mise en place d’un observatoire de la délinquance.
C’est un outil qui centralise les données recueillies par les deux polices ainsi que celles récoltées via le numéro d’Allô Toulouse. A termes, cet observatoire devrait permettre, selon Arsac, « de réaliser une cartographie de la délinquance rue par rue. L’observatoire nous permettra aussi de faire du prédicatif et d’organiser les patrouilles. » ... Et d’arrêter les crimes avant qu’ils ne soient commis ?
Nouveau poste de sécurité
De 21 caméras municipales en 2014, Toulouse en compte aujourd’hui 220. Il y en aura 250 fin 2017 et 350 en 2020.
Pour centraliser et scruter toutes ces images, la mairie a inauguré début 2016 un nouveau PC sécurité pour lequel elle a embauché 25 opérateur.ices, portant à 35 le nombre de fonctionnaires chargé.es de nous télésurveiller. Les caméras du réseau Tisséo sont peu à peu intégrées à ce dispositif : sur les 2 000 que compte le réseau de transports en commun, 70 retransmettent déjà leurs images au PC sécurité.
Ces caméras sont les yeux de la PM, mais aussi de la nationale à qui la mairie retransmet généreusement les images en direct. Selon la nouvelle convention de coordination, les agents de police nationale peuvent même prendre les commandes des caméras (orientation, zoom) « pour des considérations majeures de gestion de l’ordre public ou des nécessités d’ordre judiciaire. »
Début février a été annoncé l’équipement de 60 caméras municipales d’un "système de détection des comportements douteux". Ce programme informatique acheté à IBM pour 150.000€ prendra en compte plusieurs paramètres : expression faciale, température corporelle, démarche, accélération subite de la vitesse. L’opérateur-ice du PC vidéo de Saint-Cyprien sera alerté en cas d’anomalie et décidera ensuite de déclencher ou non l’intervention de la police. La reconnaissance faciale reste interdite, mais pour combien de temps encore ? Pour en savoir plus :
Un outil existe pour organiser l’autodéfense face à ce monstre panoptique qui nous envahit. Le site collaboratif Toulouse sous surveillance propose à chacun-e de signaler les caméras publiques ou privées de son quartier. Attention : celui-ci n’a pas été actualisé depuis longtemps... Une campagne de mise à jour est en cours !
Armée et disponible 24h/24
Avant le mandat de Moudenc, les policières municipales étaient autorisées à porter une arme seulement lors de leur service de nuit, c’est à dire de 20h à minuit.
Après que Mohamed Merah ait frappé l’école juive de la Roseraie le 19 mars 2012 et que le plan Vigipirate écarlate fut déclaré, les policiers municipaux furent armés en urgence, de jour comme de nuit. Il faut croire qu’on y prend vite goût car à le levée du plan Vigipirate, les fonctionnaires ont rechigné à rendre leur arme. La fronde a culminé en avril, quand les flics municipaux pris de véléités antiterroristes ont maniefsté leur mécontentement devant le Capitole, certains arborant une cible sur la poitrine (plus c’est gros, plus ça passe).
La mairie ne cède pas. Jean-Luc Moudenc fait alors la promesse opportune d’armer les policières municipales si jamais il était élu.
Il met sa menace à exécution en novembre 2014.
Un mois avant, il prolongeait les services de façon à ce que sa police municipale patrouille 24h/24, arme à le ceinture.
Une à une, les plus grosses communes de Toulouse Métropole suivent l’exemple et se lancent dans le business de la guérilla urbaine : Colomiers et Blagnac ont reçu leurs 9mm en janvier 2017, Balma quelques mois plus tôt. L’article de La Dépêche annonçant la bonne nouvelle débute ainsi :
La question ne fait plus vraiment débat. Après avoir aiguisé pendant des années les rivalités entre policiers nationaux et municipaux autour de leurs compétences et pouvoirs respectifs, l’armement des polices municipales est rentré dans les mœurs.
De nouvelles brigades
La brigade d’intervention motorisée
La B.I.M. est composée de 20 motards, bientôt 25. Ils interviennent en un temps record (6 minutes, selon la mairie) sur un simple appel passé à Allô Toulouse.
Ils seront 25 d’ici la fin du mandat de Jean-Luc. Ils ne sont actifs qu’entre 7h et 20h... Mais le site de la mairie précise : « dans un premier temps. »
L’Action Marginalité Insertion : le faux AMI
Depuis longtemps, la police municipale toulousaine traque la zonarde, le SDF, la clocharde... Objectif : dégager le centre ville de ces pauvres qui agacent le bourgeois et gènent le commerce. Entre arrêté anti-mendicité, arrété contre la consommation d’alcool ou interdiction des chiens « errants », les modalités du nettoyage (officiellement, on parle de distanciation) ont varié ces 20 dernierres années, mais pas la volonté de fair place nette. Dernier avatar en date ; la brigades AMI (Action Marginalité Insertion) créée en 2015 et composée de policier.es et de médiateurs sociaux « intervenant auprès des sans-abri pour faciliter leur réinsertion tout en garantissant l’ordre public ». Selon Olivier Arsac, cette équipe a pour but de tisser un lien, une relation de confiance avec [les marginaux], dans l’esprit de la main tendu. Mais celui qui en parle le mieux est sans aucun doute Jacques Andral, directeur de la police municipale de Toulouse :
Donc le principe c’était de faire travailler ensemble, à distance mais à vue, des médiateurs, pour que leur parole soit mieux écoutée et qu’ils se sentent en sécurité (...) Là, si jamais ça se passe mal, on est là pour intervenir. Pour porter appui immédiat à ces médiateurs. Par contre si ça se passe bien on reste totalement à distance, on les laisse travailler, on mélange pas les genres. Et en même temps… comment dire… cette population comprend aussi que si les médiateurs font quelques rappels à la loi, quelques conseils, ils méritent d’être écoutés, parce que sinon après ce sont les forces de l’ordre qui vont s’occuper d’eux. [6]
Une absence totale de mélange des genres qui permet à Olivier Arsac d’affirmer : « Il n’y a pas une chasse aux marginaux de la part de la municipalité. Notre politique envers eux est équilibrée. »
Pourquoi cette brigade ? Un des problèmes majeurs rencontrés par la mairie dans son boulot d’épuration sociale, c’est que la pauvreté n’est pas (encore) un délit. Jacques Andrel l’admet : « La problématique des SRS [7] c’est que tant qu’ils ne créent pas un trouble à l’ordre public assez important, qu’ils ne perturbent pas l’activité d’un commerce par un rassemblement, un regroupement qui fait peur à la population, tant qu’ils n’ont pas des chiens non tenus en laisse, ce qui est une infraction, tant qu’ils ne consomment pas d’alcool sur un périmètre où il y a un arrêté qui interdit la consommation d’alcool sur la voie publique, on n’a peu de moyens. » On envoie donc les médiateur-ices négocier...
Les AMI ont aussi pour mission de recenser les squats de la ville rose. Iels ont toujours plein de questions à poser à celles et ceux qui n’aiment pas trop payer de loyer...
Quelques faits d’armes de la PM toulousaine
Pour finir un petit rappel des méfaits que nous avons réussi à répertorier...
Garante des bonnes mœurs, la PM n’hésite pas à intervenir au côté de la nationale au cœur de l’été pour policer les bords de Garonne.
[A la Daurade,] la municipale est intervenue pour mettre fin à un péril imminent : un individu, probablement radicalisé, avait délibérément tendu un hamac entre deux poteaux.
L’année précédente les mêmes intentions avait été beaucoup plus néfastes pour une personne qui s’était faite tabasser et avaient vu ses chiens séquestrés.
Dans la nuit du 3 juin 2015, la police municipale est intervenue massivement pour vider la place de la Daurade. Un homme a été violemment arrêté pour le seul fait d’être pauvre et à la rue.
La PM de plus en plus présente participe à des arrestations, évoquent les outrages... Elle a vraiment tout d’une vraie police.
Ce dimanche 2 octobre, peu avant 22h, pendant la projection de "Mirar Morir" organisée par l’association El Cambuche et les habitantEs du Kapilo, la police municipale (milice de Moudenc, pour les intimes) est intervenue et a embarqué un de nos camarades.
Pour parfaire le tableau, cette histoire d’un homme arrêté par des municipaux sera retrouvé mort dans une cellule du commissariat de Toulouse. L’enquête concluera que la mort était dûe à des chutes antérieures à sa "rencontre avec la police municipale (sic)". Le crane fracassé, les côtes cassés le pauvres homme ira finir ses jours dans une cellule. Pourquoi ne pas l’avoir amené à l’hôpital ?
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