Camarades, encore un effort pour décoloniser. Ou, faut-il décoloniser le PIR ? (Partie 1)

Un texte en trois parties, originellement publié ici. Il nous (pas les auteur·es) a paru pertinent de le republier ici car il nous semble apporter un éclairage approfondi sur les crispations autour du PIR et de la figure d’Houria Bouteldja.

Sujet et organisation

L’Indigène, appellation d’origine contrôlée

La figure de l’Indigène (et le processus “d’indigénisation” qui la produit) est centrale au PIR. Cette figure contre-intuitivement sous théorisée, ressemble fortement à un signifiant sans réel contenu. Le terme ne peut avoir de contenu que si les “indigènes” forment une sorte de sujet politique dont le PIR ne serait que l’expression. Mais ce sujet politique est loin d’avoir une forme positive, Houria Bouteldja et Youssef Boussoumah l’admettent volontiers :

La « différence indigène » n’existait pas, sinon en négatif, comme communauté d’oppression, comme assignation contradictoire et à la différence et à l’assimilation. [1]

Comment donc faire de la politique, c’est-à-dire construire positivement, par la négative ? C’est, je pense, la question à laquelle le PIR n’a pas su répondre convenablement. La raison est double. Premièrement, comme Bouteldja et Boussoumah l’identifient, les politiques Blanches [2] ont travaillé dur afin d’éloigner le PIR des groupes sociaux desquels il aurait souhaité se rapprocher [3]. Cependant, se contenter de cette explication, c’est se délester de toute responsabilité politique. Si le PIR n’a pas pu pénétrer dans le “terter” à cause des garde-fous, c’est aussi qu’il ne s’est pas formé comme extension organique des politiques des banlieues [4], mais comme une organisation recrutant des théoricien.ne.s. En réalité, le sujet avec lequel le Parti s’identifie, par l’inexistence de revendications politiques unies sous une bannière commune, est à la fois le PIR lui-même et une production théorique du PIR. Lorsque le PIR doit identifier concrètement l’Indigène, on est forcé de constaté que certains groupes disparaissent de l’horizon. Si “l’Antillais, le sans-papier sénégalais ou la fille d’Algériens immigrés” sont bien présents, les kanaks, les maohis, les wayana, les hmongs et autres saramakas [5] n’en font pas partie. Si le terme “Indigène” que retient le PIR lui sert à indiquer l’importance du Code de l’Indigénat dans la formation raciale de l’Empire Français et ses répercussions présentes, il laisse pourtant un espace vide dans son inclusion “négative” et pas des moindres. On est en droit de se demander, qui est finalement l’indigène du PIR ? Si le PIR a su dans une certaine mesure développer des alliances, l’oubli quasi-systématique de ces groupes qui sont encore actuellement nommés indigènes ou autochtones sur les possessions coloniales françaises — et traités comme des indigent.e.s dans les coulisses de l’Hexagone — laisse paraître une définition de l’indigène pour le moins “métropolitain”. J’entends par là que cet Indigène du PIR fait partie de groupes qui ont pu s’étendre culturellement dans l’Hexagone [6], laissant ainsi à l’encan les groupes sociaux les plus marginalisés par l’Empire colonial, qui ont pourtant souvent su arborer le terme indigène ou autochtone positivement, en surpassant depuis plus de cinq siècles les différents indigénismes, qu’ils aient été ecclésiastiques, culturels, d’Etat ou de partis, même les plus révolutionnaires. La contradiction est d’autant plus grande que si les groupes avec lesquels le PIR s’identifie se refusent à adopter sa ligne politique et sa nouvelle catégorie identitaire [7], le PIR omet de son appareil théorique les groupes déjà identifiés ou revendiqués comme “indigènes” ou “autochtones”.

Le Parti, une adoption de la Modernité coloniale

Le PIR, rejette explicitement la modernité occidentale, que Sadri Khiari appelle, non sans humour, “l’opium du peuple” [8]. Il a pourtant fait un choix d’organisation très spécifique : la forme Parti. Le Parti, bien que le sens du concept ait beaucoup évolué, est un type d’organisation politique qui apparaît conjointement à la modernité coloniale et au développement de l’État moderne. Comme façon de normaliser (ou moderniser ?) ses orientations Sud-Nord sur le spectre Gauche-Droite des politiques coloniales blanches, et de “dépasser” l’ancrage associatif des précédentes luttes “indigènes” en métropole, ce choix d’organisation apparaît en contradiction avec le programme du PIR en au moins deux points. La première contradiction, c’est avant tout la résistance et l’opposition, si ce n’est formelle, au moins implicite mais non moins réelle, d’une part importante des luttes et des pratiques anti-coloniales à leur intégration dans des appareils de parti. Et ce, alors qu’en Guadeloupe le LKP a porté avec éclat le dépassement de ces paradigmes, les partis et grands syndicats “métropolitains” n’ont pas voulu suivre — ni étudier conséquemment — se laissant par la suite surprendre par les différents mouvements des places, les mobilisations féministes et LGBTQIA+, les 500 frères, les gilets jaunes, la montée de l’écologie, de la démocratie participative… Pendant que Françoise Vergès, avec d’autres, travaille à réhabiliter le marronnage comme stratégie politique qui s’ancre dans les pratiques subalternes [9], que les mouvements sociaux, notamment Noirs défient chaque fois plus les vieilles logiques partisanes, le PIR, lui, remet au goût du jour le Parti, sous une forme simili-léniniste, comme nous le verrons. La seconde contradiction est que, lorsque les groupes identifiés comme “Indigènes” par le PIR se détachent de la “politique” et des partis, et que la forme Parti dépérit progressivement avec les restructurations des États et du Capital, le PIR espère que son Parti fera mouche.

S’il est vrai que les partis ont joué un rôle important dans les luttes d’indépendance de l’après-guerre, on peut difficilement leur attribuer d’avoir réussi à en finir avec la Modernité [10] (que les différents États-nations n’ont fait que reproduire avec leurs particularités locales), ni d’avoir accompli ne serait-ce que la moitié des projets d’émancipation revendiqués par les mouvements anti-coloniaux. S’il se reconnaît dans cet héritage [11], le PIR ne tire pourtant, paradoxalement, aucune conclusion, aucune conséquence organisationnelle, de ces échecs. Il peut s’avérer utile de situer ce choix dans son mélange de diasporas et d’héritages de luttes très diverses où la présence du marxisme (ou en tout cas, de certains courants issus du marxisme) et de la modernité coloniale intériorisée reste centraux. Si l’analyse que Philippe Corcuff [12] a pu faire du PIR est souvent à côté de la plaque, et tronquée, elle a au moins le mérite de cibler une ancienne erreur du marxisme (et du mouvement socialiste en général) que le PIR reproduit, à la sauce décoloniale : la centralité d’une seule forme de domination, et l’essentialisation d’un sujet politique qui se retrouve absorbé dans l’unique forme d’organisation révolutionnaire, le Parti lui-même. La “centralité de la Race” est, je pense, revendiquée à demi-mot par le PIR, contrairement à l’affirmation catégorique marxiste (mais aussi du mouvement socialiste dans son ensemble) de la centralité de la lutte des classes — que la diversité des luttes de races sociales, mais aussi de genre n’a cessé de contredire. Mais sa prévalence est présente dans l’ensemble des analyses que le PIR produit. Bouteldja et Boussoumah par exemple, ne le notent qu’au détour d’une phrase critiquant les changements politiques de l’antiracisme qui, iels pensent, déradicalisent les luttes antiracistes [13]. Que la Race soit un rapport social fondamental de nos sociétés occidentales modernes est un fait avec lequel je suis tout à fait d’accord. Cependant, comme le rappelle Anibal Quijano, “le « racisme » dans les rapports sociaux quotidiens n’est pas la seule manifestation de la colonialité du pouvoir” [14]. La complexité de la colonialité qui “constitue un phénomène englobant, puisqu’il s’agit d’un des axes du système de pouvoir et qu’en tant que tel, elle imprègne tout contrôle de l’accès à la sexualité, à l’autorité collective, au travail, à la subjectivité / intersubjectivité et à la production de connaissance depuis l’intérieur de ces relations intersubjectives” [15], mais amène-t-elle à penser un projet décolonial basé uniquement sur une sorte de monisme de la Race ? La diversité indigène est-elle cette maladie infantile des politiques anti-coloniales qu’une organisation centralisée devrait corriger ? [16] Je soupçonne bien évidemment que non.

Aux antipodes donc de la diversité “Indigène” à laquelle le PIR invite à première vue, on retrouve dans sa forme d’organisation des phénomènes spécifiques à la modernité (parti, unité politique, “single-issue politics”, politique de l’identité, sujet politique unique et excluant, redéfinition de “l’ennemi principal”) qui entrent souvent en contradiction avec un “programme” décolonial. Si le mouvement ouvrier n’a jamais pu éliminer ni sa part de chauvinisme, ni empêcher la formation d’une aristocratie ouvrière, si les féminismes n’en ont pas fini avec le modèle politique de la femme blanche éduquées de classe moyenne, pourquoi les “Indigènes” — qui refusent déjà d’adhérer à la tendance anti-assimilationniste du PIR — n’auraient pas droit aux développements de tendances marginales en leur sein, et à leurs critiques ? Car l’Indigène n’est jamais uniquement qu’indigène. Le pouvoir, et sa colonialité, en font toujours une minorité sous de multiples aspects (qui sont racialisables). Comme le rappelle Audre Lorde :

il n’y a pas de lutte à problème unique, car nous ne vivons pas des vies à problème unique.

Il ne s’agit pas pour autant de nier la pluralité des positions politiques au sein du PIR, mais d’indiquer les contradictions qu’impose leur choix d’organisation. Si le PIR se réclame de l’autonomie [17], on ne sait pas vraiment de quelle autonomie il est question. Si comme le définissent Rafik Chekkat et Youssef Girard, l’autonomie politique du mouvement de l’immigration consiste “avant toutes choses à partir du point précis où se trouvent les personnes […] qui ont décidé de se battre” en faisant leur “histoire avec [leurs] propres moyens, de [leurs] propres mains” [18], les critiques très dures du PIR envers les personnes qui se battent sur des terrains similaires (c’est-à-dire, le racisme structurel, le colonialisme et les violences policières) laisse paraître que jusqu’à ce jour, leur objectif n’est pas tant l’autonomie “indigène”, que leur propre indépendance et un certain avant-gardisme. Alors que les partis de l’Autonomie italienne (qui n’est certainement pas une référence majeure du PIR) revendiquaient l’autonomie de l’action ouvrière par rapport aux partis et aux syndicats, pratiquaient “l’enquête ouvrière” pour développer leurs pratiques politiques, et cherchaient les formes du communisme dans les oppositions quotidiennes des ouvriers et ouvrières à l’Etat et au travail, le PIR, quant à lui, semble au contraire développer son anti-assimilationnisme à contre-courant des pratiques actuelles des populations issues de l’immigration [19]. Bien sûr, contrairement aux années 60–70, nous sommes actuellement dans une phase politique compliquée pour les organisations, et les revendications des groupes subalternes sont bien peu radicales, mais le choix du PIR de se placer à l’avant-garde radicale des mouvements de l’immigration, quitte à s’en voir isoler, n’est pas exactement ce que j’appellerai une politique autonomiste [20].

Si malgré tout le PIR persiste à se présenter comme figure majeure de l’autonomie indigène c’est en fait pour se positionner comme antagoniste face à la gauche blanche française (ou du moins, de la francophonie européenne). Pourtant, le PIR est moins strict avec ses contacts à l’international qu’en France. Le PIR, contrairement aux autres partis, n’aura certainement jamais l’occasion de s’intégrer à l’appareil d’État même s’il le voulait — le racisme institutionnel français empêchant tout rapprochement avec des politiques anti-assimilationnistes — il s’est pour autant intégré, à travers ses intellectuel.le.s, à un certain nombre d’institutions loin d’être “indigènes”. Le soutien porté à l’organisation par l’Université de Berkeley (principalement à travers le Projet de Recherche et Documentation sur l’Islamophobie, IRDP, et son directeur, Hatem Bazian) est peut-être un exemple facile, mais il n’est pas pour autant anodin. En se donnant une légitimité à l’internationale à travers les États-Unis et dans une prestigieuse université qui, même si historiquement de gauche, reste un lieu de production majeur des savoirs coloniaux états-uniens, le PIR se trouve des ami.e.s dans ce qui est, encore pour le moment, le centre impérial du système-monde, afin de légitimer sa position dans le champ politique français. Pourtant, si l’autonomie et la radicalité revendiquée par le Parti étaient de mise, les choix d’alliance seraient peut-être très différents. Il n’y a cependant pas que Berkeley qui se veut amie du PIR, une certaine élite intellectuelle décoloniale, Grosfoguel certainement en tête, annonce régulièrement son soutien au PIR (il a d’ailleurs participé avec sa femme à l’édition et la traduction du livre d’Houria Bouteldja en espagnol), et ce même dans des régions du globe qui n’ont aucune idée des politiques raciales de l’empire français. Si ces intellectuel.le.s sont bien racialisé.e.s et tokenisé.e.s dans les grandes universités occidentales [21] de par leurs origines sud/méso américaines et caribéennes, il n’en reste pas moins qu’en Amérique du Sud ceux-ci viennent non pas des communautés indigènes ou afrodescendantes, mais plutôt des bourgeoisies Blanches, des cultures urbaines nationales, incluant des élites socialistes, et provinciales. Ainsi, la militante anarchiste anti-coloniale et sociologue Silvia Rivera Cusicanqui peut critiquer durement les façons avec lesquel.le.s ces intellectuel.le.s ont, quasi systématiquement, omis de leur corpus les savoirs indigènes — et de leur militance — et leur anti-colonialisme. Elle va d’ailleurs plus loin en pointant les nouvelles hiérarchies de savoirs que ces intellectuel.le.s participent à produire [22]. On peut ainsi comprendre que le PIR, pris dans ces rapports de pouvoir à l’échelle internationale, puisse envoyer sa (ex-)porte parole à une rencontre décoloniale organisée par “l’Institut National de la Décolonisation” de la République Bolivarienne du Vénézuéla [23]. Ce manque de réflexivité sur les différents États post-coloniaux et leurs hiérarchies raciales, notamment concernant le bolivarisme, indique à nouveau l’héritage du PIR qui tiendrait des marxismes et des nationalismes anti-impérialistes et qui ont, depuis les années 50 et jusqu’à présent, effacé le problème pourtant central du colonialisme interne au sein des communautés et des États-nations ayant récemment acquis une certaine indépendance politique [24].

Si l’ancrage du PIR dans les luttes arabes (et surtout nord-africaines) est clair et que le modèle sud américain n’est certainement pas l’élément déclencheur des développements politiques du PIR, il n’absout pas pour autant l’organisation de la contradiction qui existe entre ses revendications en apparences radicales (décolonisation de la France, autonomie politique, critique de la gauche blanche, anti-assimilationnisme) et certains de ses choix politiques (forme parti, éloignement de sa “base”, rapprochement avec des élites intellectuelles à l’internationale, intégration dans des institutions socles du colonialisme). Je ne suis pas la pour enjoindre le PIR à abandonner les traditions politiques qui ont influencé sa formation, au contraire. Il s’agirait cependant de se demander comment il pourrait envisager dans le futur de soutenir plus largement les groupes dits indigènes, locaux ou autochtones, des banlieues, jusque dans les Outremers. De se réorganiser avec eux de sorte à répondre aux situations dans lesquelles ils se trouvent. De choisir s’il est plus important de subvertir la gauche blanche métropolitaine à travers le champ intellectuel, ou bien d’autonomiser la Kanaky, la Polynésie, la Guyane, les Antilles, le 93, la Réunion, les Comores, et tant d’autres. Enfin de compte, j’enjoins plutôt le PIR à répondre à cet autre impératif : comment transformer les indigènes de la République en une force politique décoloniale et révolutionnaire, les indigènes contre la République ?

Notes

[1Splendeurs et misères de l’autonomie indigène. 2005–2020 : Le PIR, ou l’histoire courte d’une réussite politique et de sa conjuration, QG Décolonial. (Plus loin je ferai référence au texte sous le nom Splendeurs et misères).

[2J’utiliserai les terme Blanc et Blanches, signifiant à la fois une position social dans l’ordre racial et un programme politique lié à la modernisation et à la colonialité, sans guillemets. Je pars du principe que l’emploi des guillemets, s’il est indicateur d’un certain scepticisme, transmet l’idée que les termes eux-mêmes seraient problématiques. Je pense au contraire que nommer clairement suprématie blanche l’ordre social mondial que produit la colonialité, et Blanc.h.e.s la position hiérarchique que cette première institue c’est faire preuve d’honnêteté quant aux catégories que la modernité occidentale a elle-même produite. Tant que cette dernière n’aura pas disparu, nommer ses catégories propres est essentiel.

[3Splendeurs et misères.

[4J’aborde cette question dans la partie Le Parti, une adoption de la Modernité coloniale.

[5Par facilité j’ai choisi d’énumérer certains groupe par famille linguistique. Ce découpage, lui-même colonial, ne représente rien de la diversité politique et culturelle propre à chacun des groupes, et masque aussi les différents échanges interculturels actuels et séculaires. Par exemple Richard Price témoigne qu’en Guyane les descendant.e.s d’esclaves “saramaka ont tendance à attribuer leurs connaissances aux amérindiens”. Voyages avec Tooy. Histoire, mémoire, imaginaire des Amériques noires.

[6Si les antillais.e.s viennent des caraïbes et les réunionnais.e.s de l’archipel des Mascareignes, il est indéniable qu’iels ont, pour multiples raisons liés aux intérêts coloniaux, une présence dans l’hexagone que les kanaks n’ont pas.

[7Dans Splendeurs et misères, Bouteldja et Boussoumah parlent de leurs “ difficultés à combattre l’intégrationnisme des populations non blanches”.

[8La modernité est l’opium du peuple. Khiari dit : “Car tout le monde est convaincu en effet que la civilisation blanche, c’est-à-dire, la modernité, est supérieure aux autres civilisations. Nous-mêmes, nous avons tendance à le penser même quand nous affirmons le contraire. Et quand on pense que la civilisation blanche est supérieure aux autres, eh bien on se trouve complètement désarmé pour contester radicalement la domination coloniale et raciale. C’est pourquoi on peut dire que la modernité est l’opium du peuple.”

[9Vergès, Un féminisme décolonial. Voir aussi Hourya Bentouhami, Notes pour un féminisme marron

[10Bouteldja défini la Modernité comme suit, ce serait “la globalité historique caractérisée par le Capital, la domination coloniale/postcoloniale, l’État moderne et le système éthique hégémonique qui lui sont associés”. Race, classe et genre : une divinité à trois têtes.

[11Je ne pense pas me tromper en affirmant que cet héritage est revendiqué lorsque Bouteldja et Boussoumah opposent leur Panthéon composé entre autre de “Thomas Sankara, Patrice Lumumba, Solitude, l’Emir Abdelkader, Abdelkrim el Khattabi, Toussaint Louverture, Yasser Arafat, Sitting Bull, Geronimo, Malcolm X, Rosa Parks, Amilcar Cabral, Ho chi Minh, Le Général Giap, Ali La Pointe, Jamila Bouhired, Angela Davis, Mohamed Ali, Fernand Iveton” au Panthéon classique de la gauche Blanche. Le choix de l’hymne national algérien, d’abord hymne du FLN, comme chant de lutte, bien qu’il n’ait rien de critiquable en soi, marque tout de même un héritage confusément dépouillé de la critique contemporaine face au FLN en Algérie et dans ses différentes diasporas.

[12Philippe Corcuff, Indigènes de la République, Pluralité des dominations et convergence des mouvements sociaux. Dans ce texte Corcuff est incapable ne serait-ce que de mentionner les concepts de “colonialité” et de “modernité”. Cela illustre assez bien toutes les erreurs théoriques qu’il commet. Il est alors possible au PIR de lui rétorquer, à raison, qu’il tient à son “monopole de l’émancipation” car il ne voit pas que “l’axe décolonial permet, au contraire, de penser les conditions concrètes des luttes communes dans un système-monde, conformé par la modernité coloniale, contre les symétries abstraites et paradoxales de [son] catéchisme progressiste.” Philippe Corcuff : un Tintin libertaire au pays des néo-cons

[13Il y aurait un déplacement du “centre de gravité du PIR vers l’afro-féminisme, de l’antiracisme/anti-impérialisme vers l’intersectionnalité, de la race vers le genre.” dans Splendeurs et misères.

[14Aníbal Quijano, « Race » et colonialité du pouvoir. il précise cependant que le racisme “est sans doute la plus perceptible et la plus omniprésente” de ces manifestations de la colonialité.

[15María Lugones, La colonialité du genre.

[16Dans son argumentaire d’inspiration léniniste, nationaliste et réformiste au moment de plaider pour la forme Parti, Khiari va jusqu’à objectiver et accuser la diversité (pour justifier son absorption), comme étant une raison de l’impuissance des indigènes, qui en sont “bien souvent contraints de subordonner ces résistances à des forces non-indigènes et à leurs enjeux”, à force de “mener une résistance de type syndicaliste, éclatée, sur telle ou telle question particulière”, “sans organisation capable d’investir le champ proprement politique, dans toutes ses dimensions y compris institutionnelles”. Mais si on peut évidemment critiquer ces faiblesses de certaines politiques indigènes, la critique justifie-t-elle la subordination de toute les luttes indigènes au Parti ? Construire une organisation politique autonome anticolonialiste, Sadri Khiari, 2007

[17Bouteldja et Boussoumah, encore, écrivent “plus nous affirmions notre autonomie vis-à-vis du champ politique blanc tant sur le plan organisationnel que théorique, plus nous multipliions le nombre de nos adversaires.” Splendeurs et misères

[18Rafik Chekkat et Youssef Girard dans Du « mouvement beur » à la lutte contre l’islamophobie : la haine de l’autonomie (3eme partie). Ce dernier passage est une citation de Malek Bennabi qui conclut leur article : “Chaque peuple doit faire son histoire avec ses propres moyens, de ses propres mains.”

[19“Un fait est indéniable : plus nous affirmions notre autonomie et notre radicalité, plus l’ambition intégrationniste des indigènes était contrariée et plus ils s’éloignaient.” Splendeurs et misères.

[20Un bon exemple de cela est que, alors que les concepts d’autonomie des Outremers, très hétéroclites, mettent régulièrement en avant un besoin d’autonomie sanitaire et médicale, le PIR n’a même pas su utiliser cette crise sanitaire qu’est la pandémie du COVID pour nous éclairer sur les stratégies d’autonomisation. En effet, sur la douzaine d’articles publiés sur leur site, à propos des politiques raciales et culturelles de l’État français (et belge), aucun ne recherche, ne propose un soutien aux Outremers, souffrant plus que jamais de la gestion coloniale de la médecine, persistant malgré les (maigres) acquis des décennies de luttes. Si la disparité d’accès à la médecine, à son étude, et à son évolution (incluant les spécificités locales ou minorisées) reste profondément hiérarchisée, elle n’est pas seulement sexiste, capitaliste, validiste, industrialiste, âgiste et bureaucratique, mais elle est aussi violemment coloniale.

[21Grosfoguel, Mignolo ou encore Anibal Quijano, trois des grands noms de la théorie décoloniale et du collectif Modernité/Colonialité, un des principaux groupes intellectuels sud américain fondateurs de cette même théorie, sont tous trois professeurs dans des grandes universités états-uniennes.

[22En anglais Ch’ixinakax utxiwa A reflection on the practices and discourses of decolonization, en espagnol Ch’ixinakax utxiwa. Una reflexión sobre prácticas y discursos descolonizadores. Cuisicanqui écrit : “Les élites boliviennes sont une caricature de l’Occident, et quand je parle d’elles, je ne fais pas seulement référence à la classe politique ou à la bureaucratie étatique, mais aussi à l’intelligentsia qui adopte des postures postmodernes et même postcoloniales : à l’académie gringo et à ses adeptes, qui construisent des structures pyramidales de pouvoir et de capital symbolique, des triangles sans fondement qui lient verticalement certaines universités latino-américaines, et qui forment des réseaux clientélistes entre intellectuel.le.s indigènes et afrodescendant.e.s. […] Mignolo et compagnie ont construit un petit empire dans l’empire, en récupérant stratégiquement les apports de l’école indienne d’études subalternes et des multiples courants latino-américains de réflexion critique sur la colonisation et la décolonisation.” traduit de l’espagnol.

[23Sans pour autant rejoindre les analyses niant les dominantes et offensives impérialistes que le chavisme affronte, ou les responsabilités des colonialistes revanchards putschistes vénézuéliens dans les évènements, les forces sociales dont font état par exemples Maurice Lemoine et Frank Gaudichaud, on peut avoir un aperçu de la blanchité du néo-bolivarisme à travers ces deux articles : Une géographie des conflits écologiques au Venezuela et Pensée décoloniale au miroir de l’État vénézuélien.

[24Pour une introduction au concept de colonialisme interne, voir Pablo González Casanova, Société plurale, colonialisme interne et développement.

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